— Par Christophe Deroubaix —
Jean-Pascal Mouthier, fondateur du Théâtre de la Comédie, est menacé d’expulsion par son bailleur : le syndicat ecclésiastique des prêtres.
Marseille (Bouches-du-Rhône),
correspondant. S’il traverse cette épreuve, il pourra en tirer une pièce qu’il inscrira à la programmation de ce théâtre dont on veut le priver. On peut déjà lui suggérer un classique le Fada, l’Archevêque, la Passion et l’Avarice. Ou un plus marxiste : Noyé dans les eaux glacées de l’archevêché. Enfin, un assez christique : la Passion de Jean-Pascal. Résumons : Jean-Pascal Mouthier a rêvé toute sa vie d’avoir un théâtre. Il effleure à peine son Graal que l’on veut déjà l’en priver, pour des arriérés de loyers alors qu’il a rénové le lieu de fond en comble. Son propriétaire intraitable ? Le syndicat ecclésiastique des prêtres. À Marseille, le réel fait toujours la nique à la fiction.
« Il y avait juste quatre murs
et plus d’une tonne d’amiante »
Au commencement était, comme souvent, « un rêve de gosse » : avoir son propre théâtre. Rien ne l’en avait distrait : ni son statut de comédien reconnu, ni la direction d’une compagnie ou d’une école supérieure d’art dramatique. C’est en 1996 qu’il prend son bâton de pèlerin et s’en va écumer les rues de Marseille pour trouver le lieu idéal. Trois ans de quête avant de passer le pas de la porte du 107 bis, boulevard Jeanne-d’Arc, dans le quartier Saint-Pierre. Improbable endroit sous un pont en pierre de chemin de fer qui donne à la scène épousant les formes d’une voûte en arc de cercle du pont des allures d’abside de cathédrale. « Je suis tombé amoureux du lieu. Un coup de foudre. » L’endroit, théâtre dès 1925, est à l’abandon depuis deux décennies. « Il y avait juste quatre murs et plus d’une tonne d’amiante dans le plafond. » Jean-Pascal trouve accord avec le propriétaire : exonération pendant douze ans de loyers contre le triple engagement de rénover, désamianter et obtenir l’agrément de la commission de sécurité pour accueillir du public. Coût estimé des travaux de la remise en état ? « L’équivalent d’un million d’euros actuel », rappelle le comédien. Des subventions de la Ville de Marseille et du conseil général – l’équivalent de 130 000 euros – passent dans l’obligatoire. Pour le reste, c’est le système D et du temps, beaucoup de temps. « Il faut juste douze ans de sa vie », souligne-t-il, assis en son théâtre sur un banc glané quelque part, comme le reste. Les fauteuils ? « Je les ai récupérés au Théâtre de l’Odéon. » Les obligatoires rideaux M1 ignifugés ? « À la foire de Marseille, ils les jetaient après la fermeture. Je me suis pointé à 5 heures du matin et j’ai obtenu de pouvoir les prendre. » Bon, d’accord, mais l’amiante ? « C’est moi aussi. » L’écrivain et comédien Gilles Ascaride, président de son comité de soutien, avait donc raison. Nous voilà bien en présence d’un « fou furieux, un dément, un malade, un insensé ». Jean-Pascal poursuit : « J’ai contacté un spécialiste du désamiantage. Il m’a tout expliqué. J’ai appliqué. Pendant trois week-ends non-stop car j’avais une nacelle seulement pendant ce temps-là. Et comme le plafond est à neuf mètres de hauteur… » Il devine la surprise, voire l’effarement que nous ne pouvons manifestement réprimer. Il dit : « Les rêves des fous d’hier sont les réalités d’aujourd’hui. » Le 28 mai 2013, le Théâtre de la Comédie ouvre ses portes en présentant les Côtelettes, de Bertrand Blier. Depuis, quinze représentations ont eu lieu dans le cadre de la programmation. « Ici, on paie en fonction de ses revenus. Pour les moins riches, c’est un tarif “flash”, soit 5 euros par place, une achetée, une gratuite. Le tarif maximum est de 20 euros. On ne demande pas de justificatifs de revenus. On fait confiance. » Une fois le rideau retombé, acteurs et public se retrouvent autour d’un pot (« J’y tiens absolument ») auquel l’entreprise familiale et voisine Limiñana abonde avec ses apéritifs anisés. Marseille, quoi ! Hors programmation, une rencontre provoquée avec des tagueurs de son mur de façade conduit à un concert de rap dans son théâtre. Les minots de la cité voisine mettent les pieds pour la première fois dans le lieu. « Chez les Grecs, le théâtre, c’était la réunification de la cité », dit Jean-Pascal
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