— par Pierre PINALIE —
Installé à la Réunion, le Professeur Lambert-Félix Prudent a communiqué ses commentaires sur la langue créole dans une interview réalisée par un journal de l’île Maurice, pays où le créole est parlé parallèlement à l’anglais et au français. Dans son introduction, il pose clairement le problème de la Martinique où le créole, langue populaire, se trouve face au français qui jouit du prestige de l’école et de la littérature, et demeure la langue de l’administration et des affaires. Et dans la mesure où l’école est le lieu de la promotion sociale, la présence du créole dans l’enseignement est toujours vue comme une forme militante, ce qui motive la méfiance des parents partisans de la langue officielle, outil nécessaire pour l’avenir de leurs enfants.
Nouvelle identité
Lambert-Félix Prudent brosse un tableau clair de la situation, et rappelle alors qu’à partir de 1991 le créole est entré dans la formation des instituteurs, et qu’en 2001 a même été créé un concours de recrutement de professeurs de créole pour les collèges et les lycées. Il n’oublie évidemment pas de souligner que le créole n’est plus la langue première, et qu’il n’est plus présent dans la bouche des mamans penchées sur le berceau. Et d’ajouter que les chercheurs universitaires du GÉREC sont plus des polémistes que des pédagogues formateurs.
Dans la présentation de son cursus, il ne manque évidemment pas de faire allusion à ses recherches sur l’origine du créole et sur le niveau de connaissance en la matière des enseignants et des élèves. De la même façon, il décrit objectivement la manière dont les locuteurs mélangent les deux codes jusqu’à un résultat qu’il nomme « l’interlecte ». Et telle est, en effet, la réalité locale puisque, fréquemment, on parle ici un français créolisé et un créole francisé, ce qui a amené les linguistes à parler de « diglossie » et non pas de bilinguisme.
Si les familles et l’administration considèrent régulièrement que le français est la seule vraie langue digne d’être enseignée, voilà une raison, selon Lambert-Félix Prudent, qui a poussé de doctes « chercheurs martiniquais » à prétendre qu’enseigner le créole va régler les problèmes d’expression et « rajouter un supplément d’âme » à l’identité. Et c’est à ce stade de son entretien que notre universitaire « exilé » propose une très acceptable phrase faisant du créole l’emblème de la nouvelle identité martiniquaise, et révélant que la petite bourgeoisie met aujourd’hui le créole en avant pour donner des gages de modernité culturelle.
Toujours avec la même rigueur un peu provocatrice, notre interviewé prétend que réformer l’école est toujours difficile, et plus encore en France et en Martinique. Selon lui, il faut sans cesse expliquer aux parents pourquoi on travaille sur le créole et leur faire comprendre qu’il s’agit d’un héritage culturel à transmettre aux enfants entrés dans l‘univers du français populaire. Il est d’ailleurs indéniable que parents et grands-parents sont les mieux placés pour revaloriser le patrimoine créole et faire admettre que toute la population est détentrice d’un véritable trésor. Cependant, il est quelque peu surprenant de lire sous la raide plume de notre compatriote éloigné que le programme du CAPES de créole n’est qu’improvisé et bricolé, et moins surprenant de découvrir qu’il qualifie certains universitaires d’irresponsables.
L’insécurité des élèves.
Une autre surprise un peu négative est son jugement sur l’orthographe créole qui n’est pas stabilisée, selon lui, et sur l’inexistence d’un dictionnaire correct. Il va même jusqu’à déplorer le manque de formation des maîtres en créole, et jusqu’à dire que les élèves ânonnent des expressions ridicules et récitent des chapitres de fausse science sur l’histoire des Nègres et des esclavagistes. Très étonnante, enfin, est sa remarque sur l’insécurité des élèves sur le plan de l’expression et du savoir, et peut-être intéressants à analyser ses propos tendant à faire admettre que ces élèves glorifient les héros que sont les nouveaux écrivains.
Sur le fond, l’ensemble de ses dires n’est pas empreint de fausseté, même s’il met une forte assurance dans ses affirmations. Il est en effet normal de se méfier des fausses évidences et des faux prophètes, et répéter qu’il ne suffit pas de décréter l’entrée du créole à l’école pour le revaloriser n’est pas une erreur. Et quand il avance qu’une grammaire faite par un linguiste peut être complètement illisible, on peut aussi se poser la question de savoir s’il fait allusion à un cas particulier. Certes, il donne des leçons avec une certaine audace, mais ne dit pas de choses erronées quand il souhaite l’aide apportée aux linguistes par des psychologues et des sociologues.
Évidemment, quand il se dit frappé du purisme, du rigorisme, du normativisme de ses compatriotes linguistes, et quand il reproche l’absurdité d’une traduction littérale, on est en droit de voir là un lointain combat contre des opposants, voire des ennemis, mais sans qu’il y ait le moindre patronyme cité et dénoncé. Et pour finir, quand il adresse aussi des reproches au Ministère de l’Éducation, on ne saurait le sentir défenseur d’un camp particulier. En conclusion, si l’on retient de tout cela que réformer l’école est difficile, qu’on ne doit pas aller contre l’opinion des parents et qu’on ne fait pas le bonheur des gens malgré eux, que peut-on vraiment lui reprocher ?
Le 29-09-06, Pierre PINALIE