— Par Yves-Léopold Monthieux —
« Génie« , « précurseur« , « visionnaire« , « défricheur« , « inventeur« , « bâtisseur« … : il n’a jamais manqué de superlatifs pour vanter les mérites des surdoués qui ont inspiré la politique en Martinique ou y ont occupé des fonctions importantes. Ils se sont appelés Aimé Césaire, Frantz Fanon, Edouard Glissant, Marcel Manville, Pierre Aliker, Georges Gratiant, Camille Darsières… Bref, on se demande bien par quel paradoxe un aréopage d’aussi grands talents n’ait pu empêcher que la Martinique ne se retrouve dans la situation politique, morale et matérielle où elle est aujourd’hui. Celle qui conduit notamment la jeunesse-qui-réussit à quitter en masse son pays et la jeunesse-qui-rame, nombreuse, vers le destin cauchemardesque qui s’annonce.
Sans doute pourrait-on ajouter Alphonse Jean-Joseph que les problèmes récurrents d’eau potable rappellent qu’il avait apporté à bout de bras le précieux breuvage dans le sud de la Martinique ; Michel Renard, « le père de la Rocade de Fort-de-France », que la Martinique a préféré ne retenir que le surnom, « le shériff », plutôt que l’héritage que fut l’extension et la modernisation du réseau routier, la création des ancêtres de Cap Nord, du Parc naturel régional de Martinique et du syndicat des Eaux du Nord Atlantique. Faut-il aussi ajouter, même si les circonstances ne s’y prêtent pas, celui qui avait souhaité que fût inscrit sur sa pierre tombale l’épitaphe : « Ici git Victor Sablé, député de la banane » ?
Tous ces « géants » nous ont quittés sous les yeux de celui qui les aura tous enterrés, Alfred Marie-Jeanne. Ceux qui viennent juste d’atteindre leur panthéon s’appellent Armand Nicolas et Pierre Petit. D’une fidélité exemplaire au communisme pour qui la déstalinisation et la défection de Césaire n’ont pas affadi l’ardeur, « Misié Arman » avait été l’inventeur reconnu de la date du 22 mai 1848 et écrit, de l’endroit où il se trouvait, un ouvrage qui fait autorité sur l’histoire de la Martinique. Par ailleurs, le « précurseur« Pierrot, qui n’avait pas été le tout premier élu de droite à rejoindre la gauche, a apporté partout où il est passé un vent, hélas peu communicatif, de modernité et d’audace.
Celui qui croule aujourd’hui sous les éloges s’était trouvé bien seul à souhaiter, alors couvert de quolibets, qu’il fût répondu à la question qu’il avait posée cent fois : « quel projet pour la Martinique ? » Certes, il n’avait pas manqué de qualités mais avait peu reçu d’écoute.
Fort-de-France, le 8 février 2022
Yves-Léopold Monthieux