— Par Jean Crusol—
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Vendredi dernier s’est tenue à l’hôtel Batelière la « Conférence portuaire ». La question de la mise en place des ports de transbordement dans les Antilles Françaises à été largement évoquée.
Qu’est-ce qu’il faut en retenir ?
Une réelle opportunité s’ouvre en 2015, nous ne devons pas la compromettre
L’ouverture du 3e jeu d’écluses du Canal de Panama crée une réelle opportunité pour la Grande Caraïbe en général et, en particulier, pour la Guadeloupe et la Martinique, ces îles restées jusqu’ici en marge de la réorganisation des réseaux de transport maritime entamée depuis les années 1980. Avec le passage aux gros navires transportant entre 7000 et 13000 containeurs, dès 2015, et la reprise attendue du commerce mondial, la demande de transbordement dans la zone, actuellement de 7 millions de containeurs, pourrait atteindre, à terme, 9 à 11 millions. Soit 2 à 4 millions d’unités supplémentaires. Les positions exprimées à Batelière autorisent à dire que tant nos responsables politiques, nos chefs d’entreprises, que nos représentants syndicaux ont pris la mesure de l’enjeu. Et nous devons nous réjouir de ce que, dés l’abord, les responsables Guadeloupéens et Martiniquais ont su éviter un danger qui serait suicidaire pour nos deux îles sœurs : opter pour la guerre plutôt que la coopération.
Trois faits doivent être maintenus à l’esprit et nous inciter à éviter tous errements dans cette phase initiale fort délicate.
-l’activité actuelle de nos ports ne dépasse guère les 150 000 containeurs et, par conséquent, une demande supplémentaire de plus de 2 millions est suffisamment large pour que chacun y trouve son compte, sans gêner le voisin.
-Le positionnement de la Martinique sur un port construit en deux phases, une phase sous-régional ciblant une niche de trafic de 120 000 containeurs, sur l’axe Amérique du Nord/Amérique du Sud, et une seconde phase à venir, visant à faire de la Martinique un « hub Caraïbe » à 1 million de containeurs, n’interdit pas un positionnement différent (en taille et en orientation) pour la Guadeloupe, compte tenu de la localisation et des atouts de l’île sœur.
-De plus, chacun doit garder une claire conscience que face à des mastodontes mondiaux qui exploitent toutes les faiblesses de leurs interlocuteurs pour obtenir les meilleurs « deal », seule une coopération étroite, voire une véritable alliance solidaire de nos îles, nous permettra de tirer notre épingle du jeu. Et cette solidarité ne devra pas s’arrêter aux îles Françaises, elle devra aussi s’étendre à nos voisins de la Caraïbe orientale et au reste de la Grande Caraïbe. Dans cette perspective l’Union des Régions des Antilles et de la Guyane (URAG) créée l’an dernier et l’Association des Etats de la Caraïbe (AEC), prennent toute leur importance.
Bien sûr, quant à la question d’être prêt à temps, rien n’est gagné d’avance. Il faudra sécuriser les financements et travailler d’arrache pied pour respecter les délais. Fort heureusement, contrairement à d’autres pays qui ont à se gratter la tête, -sans prétendre que ce sera facile-en mobilisant des fonds européens, régionaux et étatiques, nous serons certainement en mesure de réaliser le montage financier de 60 M€ nécessaires.
Faire du port de transbordement un moteur pour le développement de la Martinique
Il reste cependant qu’il nous faut nous attacher à tirer le meilleur parti de ce nouvel outil. Si le port de transbordement ne devait servir qu’à transborder du trafic au profit d’autres pays de la zone, nous aurions certainement créé une nouvelle possibilité de rentabilisation du port de Fort-de-France et un nouveau gisement de quelques centaines d’emplois directs, mais nous resterions très en deçà des potentialités d’un tel outil. Comme l’a bien souligné le président Serge LETCHIMY, il faut que le port de transbordement soit un véritable moteur de développement pour la Martinique. Et il peut l’rtre si nous le voulons.
Un port de transbordement1 permet, en premier lieu, d’abaisser le prix du fret et de densifier la desserte extérieure, tant vers les pays environnants que vers les grandes économies extérieures à la zone et vers le reste du monde. Ainsi, grâce au port de transbordement de Kingston, le coût d’importation du containeur a été réduit de moitié à la Jamaïque, par rapport à ce qu’il est dans d’autres pays de la Caraïbe. Il faudra veiller à ce que les baisses de prix et les nouvelles opportunités ainsi crées ne soient transformées en profits supplémentaires seulement pour quelques uns. Faire en sorte que les consommateurs et les couches modestes de la population voient répercuter aussi ces avantages dans la baisse des prix des produits qu’ils achètent.
En second lieu, il facilite l’importation de matières premières, de produits semi-finis et d’équipement de zones plus proches ou plus compétitives que certains pays qui sont nos fournisseurs traditionnels.
Pour ne donner qu’un exemple : il y a quelques années, l’usine du Gallion a pu se procurer au Brésil
des équipements mieux adaptés à la production de sucre de canne et meilleur marché que les équipements similaires qui auraient pu être importés d’Europe. Mais une telle opération n’a pu être réalisée qu’avec des difficultés, des délais et des surcoûts qui ont absorbé une partie de l’avantage initial en terme de prix. Il faudra donc faire en sorte que le commerce direct avec des nouveaux fournisseurs plus proches ou plus compétitifs soit plus fluide, pour permettre de développer une transformation industrielle de meilleure qualité et à de meilleurs prix tant pour le marché local, que pour le marché régional et les marchés mondiaux.
Une « vraie » zone franche pour démultiplier les retombées du « hub de la Martinique »
Mais cette perspective conduit naturellement à se poser la question suivante : les gains en termes de productivité et de baisse de prix que peut apporter le port de transbordement, ne seront-t-ils pas annihilés par les taxes, les formalités douanières et les obstacles administratifs de toutes sortes qu’encourent les entreprises qui voudraient tirer partie de ces nouvelles opportunités ?
Cela est fort possible, mais il y a une réponse à cette question : c’est la création d’une « vraie » zone franche autour du port de transbordement. Cette idée, chère à Rodolphe DESIRE, le maire visionnaire du Marin, est à l’évidence la réponse. Il ne doit pas s’agir de demi mesure du genre « zone franche urbaine » ou « zone franche globale », mais d’une « vraie » zone franche, visant non seulement la libération des matières premières, équipements, produits semi-finis et produits finis destinés à la réexportation, des taxes et formalités administratives qui leurs sont imposés à l’importation, mais aussi d’un arsenal de mesures incitatives, de dégrèvements fiscaux sur les activités et les profits, permettant d’attirer les entreprises tant de transformation que de services, dans la zone franche.
Et que l’on ne nous dise pas que cela n’est pas possible dans le cadre de législation européenne! La Zone Franche de la Grande Canarie (ZFGC) est là pour prouver le contraire. Dans ce RUP en effet, existe une zone franche de plus de 300 hectares, adossée à un port de transbordement de 1 million de containeurs. Les entreprises installés dans cette ZFGC bénéficient d’une série d’avantages douaniers et fiscaux spécifiques basés sur les lois relatives aux zones franches dans l’Union Européenne. Pour ne citer que les principales mesures:
-Exonération des droits de douane et autres taxes à l’entrpe des marchandises dans la zone. (Evidemment, ces droits et taxes sont payés au moment de l’introduction de ces marchandises sur le marché intérieur des Canaries).
-Exemption de l’accomplissement de formalités douanières nécessaires lors du transfert des marchandises jusqu’aux magasins de l’entreprises et lorsque ces dernières sont réexportes
vers des pays tiers.
-Stockage des marchandises dans la ZFGC pour une durée illimitée et la libre destination des marchandises
-Exonération de l’impôt direct pour les processus d’adaptation des marchandises tels que l’étiquetage, l’emballage ou le reconditionnement avant réexportation.
-Possibilité de bénéficier des avantages fiscaux de la Zone Spéciale des Canaries (ZEC). C’est un régime de basse fiscalité permettant aux entreprises qui investissent ou créent des emplois, de payer l’impôt sur les bénéfices à un taux réduit entre 1 et 5% au lieu de 35% du régime général espagnol.
-Possibilité de recourir à la Réserve pour l’investissement aux Canaries (RIC). Les entreprises installées en zone franche peuvent opter pour l’utilisation d’une réserve pour de futurs investissements grâce à une déduction allant jusqu’à 90% de le base imposable de l’impôt sur les sociétés.
Les Canaries nous donnent clairement l’exemple.
En trois ans, le nombre d’entreprises installées la dans la ZFGC, a été multiplié par trois. Ces entreprises sont présentes dans des secteurs aussi variés que le stockage, la redistribution internationale de marchandises, l’exportation vers les pays africains, latino américains et européens, la transformation des matières premières en provenance des pays tiers, de produit de la pêche, l’agroalimentaire, la production de biens de petite taille à haute valeur ajoutée, les entreprises basées sur les TIC.
Evidemment, toutes ces mesures ne sont pas transférables en l’état à la Martinique. Et il faudra négocier celles que nous souhaiterons appliquer. Mais la voie est claire, il nous appartient de nous y engager avec détermination et confiance en l’avenir.
Dans un livre à paraitre d’ici la fin de l’année nous développons ces thèmes : « La Grande Caraïbe : données physiques, et structures socioéconomiques » volume 1.
28/10/2011