— Par Jean Abaul, président du Conseil National des Comités Populaires (CNCP) —
La dite «Affaire PINTO» qui occupe le devant de la scène actuellement n’est que l’un des très nombreux cas de litiges relatifs à la question foncière dans notre pays. En ce domaine, scandales judiciaires, inégalités et abus sont la norme. L’ASSAUPAMAR, par exemple, indiquait lors de sa dernière Assemblée Générale, qu’elle accompagnait pas moins d’une cinquantaine de familles dont les droits à la propriété étaient bafoués.
Concernant «l’affaire PINTO» de quoi s’agit-il précisément?
Des héritiers de Mr. Félix Grat ont fait valoir que ce dernier est le véritable propriétaire d’un terrain situé au quartier Clouette (Trois-Îlets). Ce terrain a été frauduleusement vendu à un promoteur. Deux procès ont confirmé la validité du titre de propriété de Mr. Félix GRAT. La vente des terres concernées devient donc caduque. Par voie de conséquence, la validité du droit à la propriété de gens y ayant achetés des lots et construit des logements se voit remise en cause.
Le rôle d’une «Justice» digne de ce nom devrait donc être de poursuivre les coupables de la violation des droits des héritiers et de définir les conditions de l’indemnisation de toutes les personnes spoliées. En pays colonisé, ce n’est pas le cas! Non seulement, toutes les interpellations de l’un des héritiers, en l’occurrence Hervé PINTO, restent sans effet; mais plus grave, quand l’héritier grugé et ses soutiens manifestent leur exaspération, ce sont eux qui sont harcelés: garde-à vue, convocation à la gendarmerie, etc.
L’État colonial Français a toujours bafoué le droit de notre Peuple à accéder à la propriété.
Faut-il rappeler qu’au lendemain de la Révolution de 1848, par laquelle nos ancêtres ont imposé l’abolition de la servitude, Schoelcher, le pseudo «libérateur des noirs» avait indemnisé les descendants des maîtres pour la perte de leurs esclaves et fait organiser des tournées dans toutes les communes pour signifier à ces derniers que les cases et jardins restaient propriété de leurs anciens maîtres.
Aujourd’hui, notre Peuple est toujours soumis à la férule de l’État colonial Français et à l’hégémonie des héritiers des maîtres esclavagistes. Ce sont les mêmes qui contrôlent l’essentiel du foncier.
Par l’intermédiaire de ses administrations, particulièrement de l’ONF, l’État Français persécute les occupants légitimes de la zone dite des «50 pas géométriques», leur imposant des taxes et des loyers abusifs. Sur l’ensemble du territoire, la majorité des familles à très faible revenu qui se sont saignées pour acheter des lopins de terre subit le prélèvement de taxes foncières exorbitantes. Un seul exemple: cette ouvrière agricole retraitée percevant 300 euros de pension et de qui on exige chaque année plus de 1000 euros de taxe foncière*1!
La caste béké, héritière des maîtres esclavagistes, qui ne s’est jamais départie de son idéologie suprématiste, forte de son hégémonie sur l’essentiel de l’économie martiniquaise, s’acharne à maintenir notre Peuple au bas de l’échelle.
Elle n’envisage à aucun moment d’emprunter la voie de la réparation des crimes commis par ceux dont elle est héritière, pas plus de ceux commis par elle même dans la période contemporaine*2.
Au contraire! Les héritiers des maîtres esclavagistes, occupants illégitimes d’une grande partie des terres, multiplient les tentatives d’expulsion contre des familles d’occupants légitimes qui vivent depuis des décennies, voire des siècles, sur les anciennes terres d’habitation. Sous leur égide, les banques, les assurances, les agences immobilières, certaines Études Notariales sont liguées pour dresser des obstacles devant ceux qui mènent des démarches pour accéder à la propriété … dès lors qu’ils ne font pas partie de la caste.
Ainsi, concernant la question foncière, la situation de non respect de nos droits fondamentaux prévalant dans notre pays ne pourrait absolument pas prendre fin, si on se contentait de faire confiance à la «Justice» de l’État colonial.
Se battre sur le front juridique est évidemment une nécessité. Mais, à aucun moment, nous ne devons sombrer dans l’illusion que le droit français, seul, suffirait à nous garantir la justice. De très nombreux plaignants qui étaient dans leur bon droit n’ont pas obtenu gain de cause, parce qu’ils ne pouvaient pas poursuivre des procédures coûteuses et traînant en longueur. Beaucoup ont subi des verdicts iniques des tribunaux, du fait que l’inadéquation fondamentale entre le droit français et notre réalité nationale rend impossible que justice soit rendue dans la plupart des cas.
A cette réalité viennent s’ajouter les conséquences de la politique de «Génocide par substitution» orchestrée par le Pouvoir colonial Français.
Cette politique vise, entre autre, à déposséder le Peuple Martiniquais du peu d’emprise qu’il a sur son territoire. Des agences immobilières promotionnent dans l’Union Européenne les offres de terrains et de maisons dont les prix explosent (comme dans tous les autres domaines). 27 % de la population de notre pays, rappelons-le, vit au dessous du seuil de pauvreté. La précarité économique qui touche aussi (et de plus en plus,) les classes moyennes, ainsi que la politique ségrégationniste des banques ont pour résultat que les Martiniquais peuvent de moins en moins accéder à la propriété. Dans le même temps, les autorités Françaises encouragent l’implantation des ressortissants de leur pays*3.
Des réseaux se sont constitués pour favoriser l’installation de ceux qui se qualifient eux-mêmes «d’expatriés» et, parmi ceux-ci, de nombreux individus malhonnêtes (locataires truands, auteurs de manœuvres pour accaparer des terrains dont la succession n’a pas été liquidée, etc.). Dans plusieurs cas, les délinquants «expatriés» ont reçu le soutien des gendarmes français au détriment des martiniquais victimes de leurs abus.
La problématique qui est posée ici, est celle de notre survie en tant que Peuple. Nous devons tous être conscients qu’un Peuple qui n’est pas maître de sa terre est voué à la disparition.
Se mobiliser au cas par cas ou uniquement quand on est personnellement concerné, cela peut conduire à quelques victoires ponctuelles, mais la machine infernale ne s’arrêtera pas pour autant. Toutefois, il reste important de soutenir toutes les mobilisation qu’organisent les associations et les compatriotes victimes de spoliation. En ce sens, nous appelons tous ceux qui le peuvent à participer à la mobilisation de soutien à Hervé PINTO le dimanche 18 février (R.V. 8 h entrée du Golf et de la Pagerie aux Trois-îlets.
Une chose reste sure en tout cas: une réponse globale et pérenne à la question foncière ne pourra être envisageable que dans le cadre de la lutte pour l’indépendance de notre pays et l’Émancipation de notre Peuple.
Notre lutte doit viser l’obtention de Pouvoirs politique et législatif nous permettant de mettre fin aux usurpations de l’État Colonial et de la caste dominante, d’établir une véritable Justice prenant en compte notre Droit Coutumier, sur des bases de l’équité et dans l’intérêt de tous.
Nous devons poser aussi l’exigence des Réparations concernant les crimes contre l’Humanité qu’a subis notre Peuple.
Pour atteindre ces objectifs, la clairvoyance quant à nos objectifs d’émancipation, la lucidité concernant les desseins et les méthodes du Pouvoir colonial et de la caste dominante, la mise en œuvre d’une stratégie globale et intelligente pour y faire face, l’unité et la mobilisation de notre Peuple sont autant de facteurs essentiels.
Notes:
*1 Pour bénéficier de l’ASPA (aide permettant d’atteindre le«Minimum vieillesse»), ceux et celles ayant une trop faible pension et dont la valeur du patrimoine dépasse 39.000 euros, doivent se soumettre à une hypothèque afin, qu’après leur décès, leurs héritiers remboursent les sommes versées au titre de …la «solidarité nationale» française!
*2 Nous commémorons cette année le cinquantenaire du massacre de Chalvet. C’est l’occasion de rappeler qu’à chaque grèves des travailleurs agricoles les gros planteurs békés faisaient appel aux forces de répression françaises qui , à balles réelles, tuaient et blessaient des grévistes. Constatons également le refus de la caste de réparer le crime d’empoisonnement aux pesticides.
*3 Dans le but d’alerter l’opinion publique internationale sur la situation coloniale dans laquelle notre pays est maintenu, le CNCP a mis en ligne une pétition pour dire «Non au génocide par substitution!». Nous invitons tous nos compatriotes à la signer à partir du lien : https://chng.it/T8ydTXtqHm
Pour le CNCP,
le Président:Jean ABAUL