— Par Roland Sabra —
« Un petit déjeuner »
Ecriture, mise en scène et scénographie: François Raffenaud
avec Aurélie Dalmat, les 24 et 25 juillet au T.A.C de Fort-de-france
Lui, Alfred de Clairie, fils pour toujours de béké , éternellement en conflit avec la figure du père. Elle, Marie-Juliette, belle négresse interdite. Il l’épouse, non pas tant pour ce qu’elle est que pour continument s’opposer au père. Un enfant mulâtre donc, Jean-Daniel ramené au domaine comme un défi. Le grand-père adopte l’enfant de la mésalliance, en fait son fils, par dessus son propre fils. Et la mort qui survient, provoquant la liquidation de l’habitation endettée qui n’a pas su prendre le tournant de l’ananas et de la banane. Elle, persuadée d’avoir épousé, un noble, un chef en devenir, découvre n’avoir été mariée qu’à un éternel enfant qui désormais vit à ses crochets. Duperie partagée du mariage. Elle croyait prendre un ascenseur social, elle se retrouve au fond de la cave. Il croyait se poser en s’opposant il se décompose au rang de déchet. A minuit quand tombent les masques : Oh ! Ce n’était pas lui ! Oh ce n’était pas elle !
Tel est sommairement l’argument de la pièce écrite par François Raffenaud à partir de « Before the breakfast » du dramaturge américain Eugene O’Neil. Sur la scène comme dans la vie : Aurélie Dalmat. Elle sera seule en scène, s’adressant, récriminant, vilipendant, agressant l’Alfred, supposé dormir, s’agiter vaguement, hors scène coté jardin. Une présence forte donc celle d’Aurélie Dalmat. Elle fait son numéro de comédienne, comme elle fait son numéro de femme engagée, avec cette petite distance qui lui permet de s’observer, de s’éprendre d’un rôle sans pour autant totalement s’y laisser prendre, avec cette habileté, ce savoir-faire qui toujours cependant nous rappelle qu’elle s’ingénie à incarner un personnage : le sien. Aurélie Dalmat toujours en représentation, non pas comme un trucage, une fausseté, mais dans un mode d’être profondément vrai, sur le mode de l’excès qui, s’il est par moment surjoué, n’en n’est pas moins sincère.
Lors de la reprise à Fort-de-France le 24/07/2014, elle a donné beaucoup d’elle-même en étant parfois Marie-Juliette tout en restant Aurélie. Est-ce que le drame psychologique est le registre sur lequel elle est la plus convaincante ? Est-ce que cette mise en représentation d’elle-même est compatible avec l’expression des tourments et des souffrances de l’âme, dont la marque est justement de tout emporter dans l’absence de toute distanciation ? On peut en douter. A cet égard dans « Un petit déjeuner » c’est quand elle se pose sur l’avant-scène quand elle sort de l’espace de jeu délimité par un trait blanc sur le sol qu’elle provoque, comme par hasard, l’adhésion du spectateur. Cette adhésion du spectateur à son propos qu’elle sait si bien convoquer quand elle s’exprime sur le registre de la comédie ou mieux encore de la farce, théâtres dans lesquels elle excelle.
En tout cas le public martiniquais toujours bienveillant à l’égard du personnage Aurélie Dalmat s’est facilement laissé prendre et l’a récompensée de longs applaudissements et de plusieurs bouquets de fleurs, forcément prévus avant même la prestation de la comédienne. Décidément on ne sort pas des représentations du théâtre et de ce qu’il donne à voir de lui-même.
Fort-de-France, le 25/07/2014
Roland Sabra