— Par Selim Lander —
Qui ne connaît, en Martinique, le PABE (Plastik Art Band Experimental), ce groupe d’artistes plasticiennes de tous âges et qui, sous la bienveillance houlette de Michelle Arretche, trouvent d’année en année leur chemin auprès du public martiniquais ? Qui les a suivies a pu mesurer les progrès accomplis au fil du temps, leur professionnalisme.
Certes, on butte toujours sur cet obstacle propre à l’art depuis la fin du classicisme, qui tient à l’absence de critère pour juger une œuvre. Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi, face à un tableau de Cézanne, ses contemporains eurent quelques difficultés à se faire une opinion : confrontés à des formes étrangères, ils n’avaient plus que leur intuition, leur sensibilité pour jauger sa peinture. Aussi n’est-il pas surprenant qu’une bonne part d’entre eux l’ait rejetée, parfois violemment. Seuls les plus clairvoyants ont su deviner sous l’apparente maladresse une autre forme d’art, l’art de demain, et qu’un tableau de Cézanne ne réclamait pas moins de travail – mais plutôt davantage, pour aussi étonnant que cela ait paru à l’époque à qui ne pouvait connaître les douloureux accouchements du peintre d’Aix – qu’un tableau de Canaletto (par exemple).
Bien du temps a coulé depuis l’avènement de l’Art moderne. Le regardeur d’aujourd’hui est habitué à se voir proposer comme « œuvres d’art » des artefacts bien plus audacieux, jusqu’aux incongruités dénoncées par Jean Clair : « le n’importe quoi et le presque rien, l’informe et le monstrueux » (Considérations sur l’état des beaux-arts,1983).
On pourrait croire qu’il est facile de départager les œuvres véritables des escroqueries manifestes. Il n’en est rien tant les critères de jugement font encore défaut, aujourd’hui plus qu’hier puisque le « beau », pour aussi nébuleux que soit devenu ce concept, n’est même plus un critère. Les choix des commissaires d’exposition et des grands collectionneurs sont une chose mais l’attitude dubitative de bien des visiteurs des biennales et autres manifestations du même genre prouve que les initiés ne font pas autorité en dehors d’un cercle restreint. Pour l’amateur ordinaire, il ne reste donc qu’à se fier à son regard.
Toutefois le regardeur est parasité par ce qu’il a déjà vu. Picasso, par exemple, l’a convaincu que tout était recevable a priori (qui – en dehors de quelques audacieux – oserait contester certaines des productions du maître exposées dans les plus grands musées ?). Bien qu’ils compliquent à l’évidence la tâche des regardeurs, le flou, le relativisme qui président aux jugements esthétiques facilitent au contraire celle des créateurs : puisque tout, désormais, est a priori admissible, n’importe qui peut en effet s’autoproclamer artiste. Et c’est ce que l’on voit tous les jours. Notons que, en contrepartie, n’importe qui peut se déclarer critique et trancher du bon et du mauvais, fort de sa seule subjectivité…
Sans aller jusque là, il demeure que l’amateur d’art se trouve plus que jamais seul face à l’œuvre. À cet égard, le portfolio que vient de produire le PABE constitue pour qui voudra bien l’acquérir une expérience en vraie grandeur, celle qui est rendue possible par le fait de posséder chez soi quatorze œuvres originales de quatorze artistes différentes. Chez soi, donc avec tout le loisir nécessaire pour les contempler, les analyser, les comparer. On pourra, si l’on veut, les classer dans l’ordre de ses préférences. Pourquoi telle œuvre touche-t-elle davantage que telle autre ? Celle-ci nous procure-t-elle du plaisir, celle-là de la surprise, telle autre un sentiment de rejet immédiat ? Qu’est-ce qui guide au premier chef notre choix : la composition, le dessin, les couleurs, le sujet… ? Sommes-nous attiré par telle ou telle artiste parce qu’elle nous évoque un autre peintre que nous appréciions déjà ? On le voit, la liste des questions est sans limite. Certes, l’amateur se les pose lorsqu’il visite une exposition, mais les conditions sont évidemment bien plus favorables quand les œuvres sont à nous, à portée de la main.
En l’espèce, on aura intérêt à lire attentivement la notice, fournie dans le coffret, où les artistes expriment ce qu’elles ont voulu représenter et leurs motivations. À nous ensuite d’évaluer dans quelle mesure ces peintres ont rempli le programme qu’elles se sont fixé : … dernier exercice pour aiguiser notre sensibilité.
PABE, Mémoire du futur 2, cinquante-six coffrets contenant chacun quatorze œuvres originales au format A4 de quatorze artistes différentes, en vente au Créole Arts Café de Saint-Pierre où sont également exposées deux œuvres de chaque artiste représentatives du contenu des coffrets. 90 € le coffret.
D’autres exemples ici :
Nouveau Portfolio : Mémoire du futur 2 – Le blog du PABE en MARTINIQUE (couleurpabe.com)