— Par Jean-Philippe Nilor et Marcellin Nadeau, co-présidents du mouvement politique Péyi-A —
Nous prenons acte de l’ensemble des évènements survenus dans le cadre de la commémoration du 22 Mé 1848, en ce mois de mai 2020.
Ces commémorations multiformes dans leurs expressions et leurs méthodes, traduisent le long processus qu’ont eu à connaître des sociétés plus anciennes que la nôtre avant de pouvoir s’accorder sur des dates, des symboles et autres évènements leur permettant de faire Peuple. Faire Peuple, c’est-à-dire partager un passé commun pour construire un destin commun dans une dimension plurielle et diverselle.
La destruction des statues de Schœlcher a fait couler beaucoup d’encre.
De nombreuses personnalités politiques se sont empressées de prononcer des condamnations sans procès de ces jeunes militants.
À Péyi-A, nous avons toujours privilégié la réflexion sur les réactions dégainées à la hâte sur les réseaux sociaux.
La France n’a jamais regardé son passé colonial en face. Et par voie de conséquence, notre pays s’est forgé une lecture du passé grâce aux recherches et aux travaux émérites de certains de ses enfants, historiens, intellectuels, artistes…
Au-delà des faits, des dates, de telle ordonnance ou telle autre révolte, la lecture de l’Histoire restera toujours subjective. Encore plus, lorsque les évènements qui se sont succédé ont pu nourrir un sentiment d’injustice et d’exclusion chez les générations d’après.
Notre société est structurellement gangrenée de saccages, d’injustices, de blessures et ne pourra pas se développer sans soubresauts de tous ordres.
Il n’est pas question de nier la contribution des abolitionnistes français, dont Schœlcher, au processus ayant conduit à l’abolition de l’esclavage dans notre pays. Toutefois l’idéologie coloniale, en instrumentalisant le personnage de Schœlcher, a toujours voulu nous imposer l’idée d’un libérateur venu d’ailleurs, d’une France bienfaitrice à qui nous devons l’émancipation de nos ancêtres mis en esclavage.
Alors que le nombre de jeunes Martiniquais tombés par armes ne cesse d’augmenter dans un contexte de violence banalisée, il est paradoxal que certains manifestent plus d’émotion devant des statues détruites plutôt que devant des êtres humains abattus.
Que l’anathème ne prenne pas le pas sur le débat
Les méthodes d’expression ou de résolutions des questions politiques ou sociales ont souvent opposé les militants de générations différentes. Et, celle relative aux deux statues de Victor Schœlcher n’est pas la nôtre.
Nous sommes aussi conscients que la division générée par cette action au sein de notre Peuple intervient à un moment où nous devons nous rassembler pour faire face aux nombreux défis que nous avons à relever. Mais, les désaccords sur la méthode ne peuvent occulter les légitimes questions sur les clés de lecture des évènements passés, les aménagements mémoriels et le modèle économique équitable et durable qui sont à repenser.
Nous dépassons le cadre juridique et institutionnel pour appeler à la construction d’espaces de légitimité où doit se forger une lecture partagée de l’Histoire, du modèle sociétal à élaborer en dehors de tout obscurantisme.
Notre modèle se veut intergénérationnel, respectueux des libertés fondamentales, de nos écosystèmes sociaux et environnementaux.
Aux questions éminemment politiques posées par ces évènements, la réponse ne peut se résumer à une simple condamnation, encore moins à un appel à la répression et à des joutes verbales outrancières à travers lesquelles l’injure et l’anathème prennent le pas sur le débat nécessaire.
Mais cette réponse relève indubitablement de l’exigence sans concession d’espaces ouverts de confrontation, d’échanges pour penser et panser notre pays dans un esprit d’apaisement.
À Péyi-A nous nous y emploierons sur la période à venir notamment en proposant la création d’une instance martiniquaise en charge du devoir de mémoire dans le respect des différences, de toutes les différences.
D’ores et déjà, nous appelons tous les maires à ouvrir des espaces de dialogue sur les questions relatives à l’aménagement mémoriel, à l’instar de la commission municipale de la mémoire mise en place au Prêcheur.
Pour ce faire, gardons à l’esprit que la déconstruction du modèle colonial doit s’accompagner de la construction d’un récit historique martiniquais en lien avec son environnement caribéen en réhabilitant, valorisant et érigeant enfin des statues et autres lieux de mémoire en l’honneur de nos propres héros, de toutes celles et tous ceux qui ont donné leur vie et leur sang pour la liberté… notre liberté.