On connait bien Hervé Deluge . Il a travaillé ces derniers temps sous la direction de Lucette Salibur. Les résultats étaient inégaux, avec une question lancinante : qui du comédien ou du metteur en scène devait payer la facture? Le spectacle proposé les 20 et 21 novembre 2008 à l’Atrium donne une réponse en forme de pirouette. Hervé Deluge se met en scène lui-même. Avec un coup de main de Rudy Sylaire il est vrai. Le matériau central d »Un marmonneur providentiel » est tiré de « Cahier d’un retour au pays natal », « Et les chiens se taisaient » et aussi d’autres textes césairiens. Hervé Deluge connait son Césaire. Une des qualités de ce travail, il en a plusieurs, est de mettre en évidence une force d’interprétation du verbe du poète qui le porte à une telle incandescence que la forme se consume ne laissant subsister que le trait acéré qu’elle enveloppait. Hervé Deluge a fait une vraie lecture des textes de Césaire, en se les appropriant de façon charnelle, en leur faisant l’amour, et nous les restituant, transformés par la seule magie du dire, en une langue presque naturelle. Et ce n’est que par moments fugaces, au détour d’un vers trop connu, quand la brillance de la forme fait écran, que le spectateur se souvient et se dit : »Mais c’est du Césaire! » Comme s’il pouvait en être autrement! Hervé Deluge incarne, donne corps à des textes, trop souvent cantonnés par le lecteur dans le nimbe doré de l’art poétique. Il donne aussi de son corps avec une belle occupation du plateau, même si l’épisode de la roue qui ouvre le spectacle a semblé un peu long. Avec peu de moyens, des objets scéniques en petit nombre (une roue pour l’essentiel), mais innovateurs pour la Martinique, et une utilisation parcimonieuse, assujettie au propos qu’elle accompagne, la scénographie de Valéry Pétris et Dominique Guesdon, qui est aussi aux lumières, est une vraie réussite. Les images vidéo, par contrecoup, , notamment celles de coraux balancés par la mer, paraissent beaucoup plus banales. Mais la première qualité de ce travail est peut-être d’avoir réussi à fédérer autour de lui, sous la forme de concours vocaux à une bande son, les apports d’une dizaine de comédiens et metteurs en scène martiniquais. Ce qui n’est pas rien! Les raccords du comédien avec la bande sonore manquaient parfois de répétition, de pratique.On regrettera la frilosité de la programmation de l’Atrium qui a limité à deux représentations un spectacle qui méritait bien plus. L’audace et la prise de risques en matière théâtrale martiniquaise sont des denrées rares.
Roland Sabra.