Un Institut Sciences Po Antilles, c’est non seulement possible mais souhaitable dans un proche avenir !

— Par Jean-Marie Nol, économiste —

L’insuffisance de cadres de haut niveau dans les administrations et grandes entreprises en Guadeloupe est une problématique complexe aux implications identitaires profondes. Au cœur des enjeux socio-économiques de la Guadeloupe réside une question cruciale et complexe : l’absence de cadres de haut niveau au sein des institutions et des entreprises locales. Cette réalité, loin d’être anecdotique, alimente des ressentiments et des tensions identitaires palpables, soulignant les défis persistants auxquels la société guadeloupéenne est confrontée. Ainsi par exemple, pour l’anecdote, un fait interpellateur édifiant s’est produit très récemment dans la mairie d’une ville de la Guadeloupe ainsi que dans une communauté d’agglomération d’une île du Sud. En effet cette municipalité  a procédé à un appel à candidatures pour un poste de directeur général des services. Le résultat de cet appel à candidatures est pour le moins stupéfiant, dans la mesure où sur 13 candidats postulants à ce poste, 2 seulement étaient originaires de la Guadeloupe et en provenance du crû, alors que tous les autres postulants étaient de la France hexagonale. Idem pour la communauté d’agglomération qui finalement a dû se résoudre à embaucher un cadre métropolitain comme directeur des services, alors quelles sont  les raisons de cette absence de cadres locaux en mesure d’occuper des postes à responsabilité que ce soit dans l’administration ou les entreprises en Guadeloupe ?

Pour comprendre cette problématique, il convient de revenir sur les racines historiques et structurelles qui ont façonné le paysage professionnel de l’île. Depuis des décennies, la Guadeloupe a été marquée par une économie largement dépendante de l’extérieur, caractérisée par une prédominance économique du secteur agricole et touristique. Cette dépendance économique a souvent limité les opportunités de développement professionnel et d’ascension sociale pour les habitants de l’île, notamment dans les domaines nécessitant des compétences spécialisées et des qualifications très élevées de gestionnaires des administrations centrales ou locales. En conséquence, de nombreux jeunes Guadeloupéens talentueux sont contraints de quitter l’île à la recherche de meilleures perspectives de carrière, laissant ainsi un vide dans le vivier local de cadres de haut niveau. Cette « fuite des cerveaux » a des répercussions profondes sur la dynamique socio-économique de la Guadeloupe, compromettant son développement à long terme et nourrissant un sentiment d’aliénation coloniale et de frustrations chez ceux qui restent. Parallèlement, les structures de recrutement et de promotion au sein des administrations et des grandes entreprises guadeloupéennes peuvent parfois être opaques ou peu accessibles pour les candidats locaux. Des préjugés persistants, des réseaux informels de pouvoir et des critères de sélection parfois discriminatoires peuvent entraver la progression professionnelle des Guadeloupéens qualifiés, renforçant ainsi le sentiment d’exclusion et de marginalisation au sein de la société. Mais à la vérité, force aussi est de constater que les originaires de la Guadeloupe qui sont expatriés ne veulent pas retourner travailler au pays. C’est la quadrature du cercle pour nos élus locaux. Cela étant dit, il reste que c’est la formation de nos cadres et leaders qui constituent le nœud gordien. La révolution technologique et économique en cours bouleverse le paysage socio-professionnel , mettant en évidence la nécessité d’adapter la formation des futurs cadres et leaders aux défis du XXIe siècle. Face à ces mutations rapides et profondes, la question de la meilleure solution pour préparer les générations futures à occuper des postes de responsabilité dans l’administration et les entreprises se pose avec acuité.

Cette situation a des implications profondes sur le plan identitaire et nourrit un sentiment de dépossession qui engendre la xénophobie.

En l’absence de représentation significative des cadres locaux dans les sphères dirigeantes, de nombreux Guadeloupéens ressentent un décalage entre leurs aspirations, leurs compétences et les opportunités réelles qui leur sont offertes. Ce sentiment d’injustice et de frustration alimente parfois des revendications identitaires, nourries par le désir légitime de reconnaissance et d’inclusion dans la construction de l’avenir de leur île. Pour résoudre cette problématique complexe, il est nécessaire d’adopter une approche globale et inclusive. Cela implique de renforcer les filières de formation professionnelle et technique sur l’île, de promouvoir l’entrepreneuriat local et de mettre en place des politiques de recrutement et de promotion transparentes et équitables au sein des institutions et des entreprises. Dans un monde en perpétuelle évolution, où l’intelligence artificielle, l’automatisation et la numérisation redéfinissent les modes de production et de gestion, les compétences traditionnelles ne suffisent plus. Il est impératif de repenser les programmes de formation pour doter les futurs cadres et leaders des compétences et des connaissances nécessaires pour naviguer avec succès dans ce nouvel environnement. La solution réside dans une approche intégrée et évolutive de la formation aux Antilles, qui combine l’acquisition de compétences techniques de pointe avec le développement de compétences transversales essentielles telles que la pensée critique, la créativité, la résolution de problèmes et le leadership.Tout d’abord, il est essentiel d’investir dans l’éducation STEM (Science, Technologie, Ingénierie et Mathématiques) dès le plus jeune âge. En exposant les élèves aux concepts fondamentaux de la science et de la technologie dès le primaire, on les prépare à comprendre et à s’adapter aux avancées technologiques futures.En parallèle, il est indispensable de renforcer les programmes d’enseignement supérieur axés sur les compétences techniques et numériques. Les établissements d’enseignement supérieur doivent proposer des cursus flexibles et évolutifs, intégrant des modules de formation continue et des projets pratiques en collaboration avec des entreprises et des institutions publiques.La formation des futurs cadres et leaders ne saurait se limiter à l’acquisition de compétences techniques. Il est tout aussi crucial de développer des compétences comportementales et relationnelles, telles que la communication, la collaboration, la gestion du changement et la pensée stratégique. Ces compétences sont essentielles pour créer des équipes dynamiques et résilientes capables de relever les défis complexes de l’ère numérique.Pour favoriser une transition harmonieuse vers une société et une économie basées sur les technologies de l’information et de la communication, il est également nécessaire de promouvoir la formation tout au long de la vie. Les cadres et leaders de demain doivent être prêts à s’adapter en permanence aux évolutions technologiques et à acquérir de nouvelles compétences tout au long de leur carrière.

Pour ce faire, il faut au préalable une sensibilisation au retour au pays, et dans le même temps créer un véritable institut de sciences politiques et économiques aux Antilles.  Cela serait sans nul doute  un premier pas vers l’excellence éducative et le renforcement de l’encadrement au sein des services des collectivités locales. À l’aube d’une ère où l’engagement politique et la compréhension des enjeux sociétaux sont primordiaux avec la mutation de la société de part l’émergence de l’intelligence artificielle, l’initiative de mettre en place un véritable institut de sciences politiques aux Antilles émerge comme une nécessité cruciale,  notamment entre autres pour former la future classe politique susceptible de répondre pleinement aux enjeux de demain. Ce problème devrait être pris à bras le corps, d’autant qu’il existe déjà des préparations à l’accès aux instituts de sciences politiques qui ont déjà inspirée de nombreux lycéens de première et terminale, provenant de divers horizons modestes de Guadeloupe, et cette démarche même si elle incarne une réponse audacieuse à un besoin éducatif crucial demeure insuffisante. Le constat est clair : les jeunes Antillais brillants issus de milieux modestes ne devraient plus être confrontés à des obstacles infranchissables dans leur quête d’accès aux études de sciences politiques et des grandes écoles de commerce. Grâce au programme d’études intégrées (PEI), une passerelle vers les concours des Instituts d’études politiques a été établie dans plusieurs lycées, donnant ainsi à ces lycéens la possibilité de se préparer avec sérieux et détermination pour les épreuves du concours d’accès à sciences Po Paris notamment. Leur motivation inébranlable témoigne de la soif de savoir et de réussite qui anime cette jeunesse antillaise, prête à relever tous les défis pour accéder à une éducation de qualité.La mise en place d’un tel institut de sciences politiques commun à la Guadeloupe et à la Martinique constituerait un tournant majeur dans le paysage éducatif des Antilles. En offrant un cadre académique spécialisé dans l’étude des sciences politiques, cet établissement permettrait non seulement de répondre à une demande croissante pour ce domaine d’études, mais aussi de doter la région d’une institution d’excellence à la hauteur des aspirations de sa jeunesse et des aspirations de formation des élus locaux. En outre, la création d’un institut de sciences politiques aux Antilles contribuerait à renforcer la démocratie locale en formant une nouvelle génération de leaders et d’acteurs politiques mieux en prise avec les mutations économiques et sociales. En offrant un enseignement de qualité, ancré dans les réalités locales mais ouvert sur le monde, cet institut serait le creuset où se forgeraient les compétences et les convictions nécessaires pour participer activement à la vie politique et sociale de la région.En termes de retombées économiques et sociales, un tel projet pourrait également dynamiser l’écosystème éducatif et professionnel des Antilles. En attirant des étudiants et des enseignants de haut niveau, l’institut de sciences politiques créerait un pôle d’excellence qui rayonnerait au-delà des frontières régionales, favorisant ainsi les échanges intellectuels et culturels au sein de la caraïbe. La création d’un véritable institut de sciences politiques aux Antilles est une initiative porteuse d’avenir, à la fois pour l’éducation de la jeunesse et pour le renforcement de la démocratie régionale. En investissant dans le savoir et la formation des futurs leaders, les Antilles s’engagent sur la voie de l’excellence éducative et de l’émancipation politique, posant ainsi les fondations d’une société plus éclairée et plus démocratique.

Il est également crucial de favoriser un dialogue éclairé, ouvert et constructif entre les différentes parties prenantes de la société guadeloupéenne, afin de créer un consensus autour des actions à entreprendre pour promouvoir un nouveau modèle de développement économique et social inclusif de l’île. En définitive, l’insuffisance de cadres de haut niveau en Guadeloupe est bien plus qu’une simple question de compétences professionnelles. C’est une problématique complexe, aux dimensions historiques, structurelles et identitaires profondes, qui nécessite une réponse collective et engagée pour construire un avenir plus juste et plus prospère pour tous les Guadeloupéens et Martiniquais.

 » Apatoudi menné koulèv lékol, sé fè-y sizé i tout. « 

– traduction littérale : Ce n’est pas tout de mener une couleuvre à l’école, encore faut-il la faire s’asseoir.

– moralité : Ce n’est pas tout d’entreprendre, le plus difficile est de mener le projet à son terme.

Jean-Marie Nol économiste