— Par Dominique Widemann —
Festival de Cannes 2018. Opprimés, affamés, humiliés, pourchassés, les invisibles gagnent souvent le premier plan. Il faut dire que malheureusement, ils constituent une considérable majorité représentative.
Le jury présidé par Cate Blanchett a remis une Palme d’or au film du japonais Kore-eda Hirokazu. Un bonheur pour nous au fil d’une sélection qui présentait nombre de films de haut niveau. Quelques uns nous ont moins convaincus mais c’est la règle du jeu. Un plaisir en soi. Les bilans cannois reflètent chaque année la diversité des goûts et des couleurs mais il est rare que s’imposent des lignes directrices, que des thématiques se dessinent par la récurrence des propos, sauf à tirer des traits communs un peu artificiels. Cette édition 2018 fait exception. Opprimés, affamés, humiliés, pourchassés, les invisibles gagnent souvent le premier plan. Il faut dire que malheureusement, ils constituent une considérable majorité représentative. Les traitements sont singuliers. La qualité du regard varie de l’éthique poétique et lumineuse de Kore-eda au pire de l’exploitation spectaculaire telle que la pratique Nadine Labaki. La famille de miséreux à laquelle échappe le petit Zain se retrouve en supplément affligée de crasse, d’une brutalité sans vergogne. On se retrouve ensuite captifs de la photogénie charmante des enfants. Dommage pour les autres. Le plaidoyer justificatif déversé dans les larmes par ses parents auxquels elle a d’emblée interdit toute dignité sonne comme une obscénité. L’heureux dénouement et le sourire final du gamin achèvent d’y atteindre. On se prend d’une pensée émue pour le cinéaste philippin Brillante Ma Mendoza qui de longue date filme, sans jamais stigmatiser, les humbles de son pays. C’était à Cannes en 2016 son inoubliable « Ma Rosa ». On pense à Victor Hugo. On repense à Kore-eda. Violence et dignité donc. La liste des synonymes n’étant pas infinie, on peut considérer se que concentrent cinématographiquement ces vocables. Les deux prix d’interprétation en témoignent , remis à une actrice et un acteur qui excellent dans leur art au travers de deux films significatifs. Marcello Fonte, révélation offerte par le « Dogman » de Matteo Garonne. Samal Yeslyamova incarne Ayka , rôle-titre du film du réalisateur russe Sergey Dvortsevoy. La jeune femme interprète une réfugiée kirghize sans-papiers, persécutée par la police, ses débiteurs criminels et les suites douloureuses d’un accouchement. Filmé à la manière d’un documentaire hyper-réaliste, « Ayka » ne comporte pas un plan, ou presque, qui épargne le spectateur. Présenté en fin de parcours, il était suivi par une apothéose, un nouveau très beau film de Nuri Bilge Celan qui poursuit ses très humaines déambulations philosophiques en Anatolie avec son « Poirier sauvage », arbre de connaissance aux racines profondes….
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