Un État au bord du précipice disposant de ses Outre-mer…

… comme variables d’ajustement budgétaire

— Par Mireille Pierre-Louis, experte en finances locales (contribution à titre personnel) —

1. Le tandem Bercy/Cour des comptes à l’assaut de l’Octroi de mer (et de la prime de « vie chère »)

2. Lutter contre la « vie chère » dans les DOM, c’est d’abord agir contre la misère

3. Des menaces majeures sur l’emploi, les budgets locaux et …les Prix

4. Un État au bord du précipice & Les DOM comme variables d’ajustement budgétaires

5. Une TVA nationale coûte que coûte?

6. L’alignement des impôts des DOM sur le droit commun : une réserve pour l’Etat…

7. Des politiques publiques qui mènent au chaos

1. Le tandem Bercy/Cour des comptes à l’assaut de l’Octroi de mer (et de la prime de « vie chère »)

En juillet 2023, le ministère des finances a lancé une ultime offensive contre l’Octroi de mer lors d’un CIOMi exceptionnel consacré à la « vie chère », tandis qu’au même moment la Cour des comptes adressait au premier ministre un référé visant la prime de « vie chère »ii, tout en œuvrant depuis plusieurs mois déjà à une évaluation de l’Octroi de mer.

Car « si les Ultramarins sont obligés de passer par des révoltes populaires cycliques pour pouvoir dialoguer avec l’Etat, il est deux sujets (ou plus exactement deux objets de convoitise) qui retiennent constamment l’attention de ce dernier : la prime de « vie chère » et l’Octroi de mer » iii .

Lire aussi : Comment l’État a contribué à transformer les Antilles en dynamite par Mireille Pierre-Louis

En effet, selon une logique implacable de Bercy, en supprimant l’Octroi de mer, le coût de la vie baisse, la prime de « vie chère » disparaît  et l’État économise plus d’un milliard d’euros.

L’équation est simple. La Cour des comptes l’érige au rang de réforme structurelle.

En réalité, l’État chercherait par-dessus tout à ouvrir le marché des DOM à la concurrence des produits de l’Hexagone, au motif de lutter contre la « vie chère ». Le maintien de la production locale étant considéré comme un enjeu dépassé, la seule solution pour les DOM serait la consommation « de productions du royaume, restées sans prix »iv.

Il existe depuis peu une variante de cette équation, à savoir transformer l’Octroi de mer en TVA nationale, pour alimenter le budget de l’Etat. Mais quand l’idée d’une refonte de l’Octroi de mer en TVA nationale a été lancée comme un ballon d’essai en 2020, par le Think tank FERDI œuvrant pour le compte de Bercy, cette annonce provoqua une levée de boucliers des autorités locales et même de la Rue Oudinot, en raison de ses effets ravageurs pour les territoires.

Un rejet unanime qui contraste aujourd’hui avec l’alignement du ministère des Outre-mer sur les convoitises de Bercy et les hésitations des élus ultramarins au moment où le gouvernement reprend à son compte ce projet déflagrateur, au motif de lutter contre la « vie chère ».

Et, après un long silence évocateur (la « parole silencieuse »), voilà maintenant des débats tous azimuts, avec force experts, venus de l’extérieur comme il se doit, pour être sûrs de rester sur un terrain technique, alors que se pose une question éminemment politique, qui ne se limite pas à une perte d’autonomie fiscale pour les régions. En effet, en redéfinissant l’outil fiscal, l’Etat cherche à réorienter l’avenir des DOM en fonction de ses propres besoins (budgétaires) et intérêts (économiques).

Mais de partout fleurissent articles ou tribunes sur l’Octroi de mer, passant en revue tous les lieux communs écrits sur cette taxe depuis 20 ans (et sur la prime de « vie chère » en passant) pour conclure qu’en raison de la « vie chère » qui affecte les plus démunis, « le statuquo n’est plus tenable », et ouvrir grand la porte à la dilution/dissolution des DOM dans l’espace français, en supprimant le bouclier de l’Octroi de mer.

2. Lutter contre la « vie chère » dans les DOM, c’est d’abord agir contre la misère

Or, il est établi que le levier fiscal n’est pas pertinent pour agir sur la baisse des prixv. Récemment l’Allemagne l’a éprouvé en abaissant les taux de TVA pour tenter de limiter la flambée des prix de l’énergie.

Agir sur les revenus est plus efficace, comme l’avait fait la France avec des chèques octroyés aux foyers les plus modestes afin de lutter contre l’inflation.

Et s’agissant des DOM, il existe précisément une problématique structurelle des bas-revenus en raison du chômage de masse, sans compter les minimas sociaux et les pensions de retraitevi qui ne sont pas majorés pour tenir compte du coût de la vie et de l’éloignement, dans un contexte où la continuité territoriale demeure symbolique.

Quoi qu’il en soit, la faiblesse des revenus explique en très grande part les difficultés des ménages « les plus fragiles », bien avant les prix. Et, en dépit d’une crise sociale structurelle, les prestations sociales versées dans les DOM sont deux fois plus faibles que dans l’Hexagone :

Source : Insee, 2018 Contrairement aux idées reçues, les DOM ne sont pas « perfusés » par des transferts sociaux(!), bien au contraire.

 

Le graphique ci-dessus montre également que tous les revenus sont nettement plus faibles dans les DOM, y compris les revenus d’activité malgré la prime de « vie chère » des fonctionnaires, laquelle par conséquent ne peut tirer les prix à la consommation vers le haut comme l’affirme la Chambre régionale des comptes des Antilles–Guyanevii pour justifier sa suppression. Par ailleurs, le surcoût que représente la prime de « vie chère », soit 20% du salaire brut, est contrebalancé par un effet de structure des emplois : le personnel d’encadrement est plus nombreux en France hexagonale que dans les DOM et sa rémunération tire la moyenne hexagonale à la hausseviii

En réalité, lutter contre la « vie chère » en outre-mer, c’est d’abord lutter contre la misère. Or, celle-ci ne cesse de croître sous l’effet des économies budgétaires de l’Etat dans le domaine social, dont les conséquences sont démultipliées dans les DOM. A cet égard la réforme du rSa s’annonce ravageuse dans les DOMix, où près d’un habitant sur 2 bénéficie de cette allocation (allocataires et ayants droits). Pour rappel, 46% de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté dans les DOM contre 14% en France hexagonale.

Source  Insee En tout état de cause, la suppression de l’Octroi de mer et de la prime de « vie chère », que celui-ci est aussi accusé de financer, ne fera pas diminuer ces taux de pauvreté, bien au contraire.

 

3. Des menaces majeures sur l’emploi, les budgets locaux et …les Prix

En effet, la refonte  de l’Octroi de mer, inspirée par des experts du FMI, passe par une restructuration économique  des DOMx, avec la suppression du régime d’exonération de l’Octroi de mer qui permet de taxer plus faiblement les produits locaux que leurs concurrents importés : 50 000 emplois risquent de disparaître, soit les 2/3 des emplois directs et induits par l’industrie selon les AMPIxi. L’on se trouve dès lors dans une situation paradoxale où un État membre va demander à Bruxelles de ne plus protéger ses entreprises vulnérables face à la concurrence des multinationales.

Par ailleurs, la suppression de l’Octroi de mer vise explicitement à limiter l’évolution des recettes de fonctionnement des communes, en raison des effets « pervers » du dynamisme de l’Octroi de mer, ce qui aboutira à ruiner leurs capacités d’intervention auprès des populations les plus fragiles, comme ce fut le cas avec la baisse des dotations de l’Etatxii, et à ne plus financer la prime de « vie chère » qui est la cible ultime de Bercy et de la Cour des comptes.

Or, en prenant en compte dans son analyse le rebond actuel de l’Octroi de mer qui est exceptionnel (idem pour la TVA en France ou en Martinique), l’évaluation menée par la Cour des comptes présente un biais (auquel est coutumière la Direction Générale des Finances publiquesxiii ) débouchant sur la « richesse » des communes des DOM et son corollaire, la «mauvaise gestion », d’où un encadrement maximal des budgets des communes ultramarines ces dernières années comme solution à leurs difficultés financières.

Cette limitation des recettes de fonctionnement des collectivités locales conduira in fine à réduire drastiquement les perspectives d’emploi des Ultramarins chez eux. En effet, ces derniers subissent une discrimination dans le secteur privé où les recrutements se font sur une base  affinitaire selon l’INED en 2012, ce qui a été confirmé en décembre 2020 par une étude de SOS-Racisme commandée par le ministère de l’Egalité des chancesxiv. Et dans la fonction publique d’Etat ils subissent l’arrivée massive de Métropolitains. Ils n’auront d’autres choix que d’émigrer en masse.

Maintenant, il importe de s’intéresser à un angle mort de la communication officielle sur la réforme de l’Octroi de mer, à savoir la TVA nationale (le véritable enjeu de la réforme ?) qui est déjà appliquée aux Antilles et à la Réunion à des taux réduits : pour quels montants ?  La Cour des comptes avoue ne pas avoir de chiffres hors ceux de FERDI en 2017. En effet, le rapport d’évaluation de l’Octroi de mer de la Cour est peu disert sur cet impôt qui n’aurait que des vertus pour remplacer l’Octroi de mer, mais que dans d’autres rapports elle n’a eu de cesse de critiquer pour sa complexité participant au « maquis fiscal » de la Francexv. Nous avons donc mené l’enquêtexvi : ainsi, par exemple, le rebond de la TVA nationale en Martinique depuis 2021 a été deux fois plus fort que celui de l’Octroi de mer pourtant désigné par l’Etat comme seul responsable de la flambée actuelle des prix, d’où l’urgence de sa transformation en …TVA nationale…pour faire baisser les prix (!).

Par ailleurs, selon une règle empirique connue aussi bien de Bercy que de la Cour des comptes mais ignorée du rapport FERDI, les commerçants ne vont pas (ou peu) répercuter la suppression de l’Octroi de mer sur les prix des produits. En revanche, ils vont répercuter entièrement l’augmentation de la TVA qu’ils prélèvent pour l’Etat. Dans ces conditions, la suppression de l’Octroi de mer et son remplacement par la TVA nationale ne peut qu’aboutir à une flambée des prixxvii. De plus, les taxes sur les services vont augmenter considérablement, vu que ces derniers, qui représentent les deux tiers de la consommation des ménages, ne sont pas taxés par l’Octroi de mer.

Taxation des services avant et après la refonte de l’Octroi de mer

  Avant la refonte Après refonte
OCTROI DE MER    
TVA Antilles 8,50% 19,50%
TVA Réunion 8,50% 16%
TVA Guyane 15%
TVA Mayotte 15%

MPL, d’après données FERDI

Les collectivités quant à elles verront leurs dépenses de fonctionnement augmenter au moment où parallèlement on leur enlève la dynamique de l’Octroi de mer…Leurs finances seront doublement pénalisées, l’on s’achemine vers une déstabilisation majeure des DOM.

 

La pression fiscale avant et après la refonte de l’Octroi de mer

  Produits importés Produits locaux Services Produits importés Produits locaux Services
OCTROI DE MER 9,50% 1%        
TVA 8,50% 8,50% 8,50% 19,50% 19,50% 19,50%
Total taxes 18,00% 9,50% 8,50% 19,50% 19,50% 19,50%
  Avant refonte Après refonte

Simulation pour les Antilles/Mpl

 

Enfin, il importe de souligner que lorsque l’État supprime une taxe pour améliorer le pouvoir d’achat des ménages, il ne la remplace pas par une autre, il utilise ses fonds propres, comme il vient de le faire pour compenser les collectivités après la suppression de la taxe d’habitation (26 milliards d’euros).

En tout état de cause, il apparaît que le pouvoir d’achat des ménages « les plus fragiles » n’est qu’un habillage de la réforme de l’Octroi de mer, qui en définitive va la disqualifier en mettant en évidence des dangers supplémentaires pour ces ménages.

4. Un État au bord du précipice & Les DOM comme variables d’ajustement budgétaires

En réalité, le « statuquo n’est pas tenable » pour qui ? Pour l’Etat, au bord de la banqueroute : dette publique culminant à 3000 milliards d’euros et augmentée de 800 milliards d’euros par rapport à 2018, et déficit représentant plus de 5.6% du PIB. De sorte qu’aujourd’hui, selon la Cour des comptes, la situation financière dégradée de la France menace la stabilité de la zone Euro.

Mais alors qu’à partir de 2018, la France procédait à des allègements fiscaux massifs, qui l’avaient fragilisée au moment de la survenue du COVIDxviii, les DOM ont été utilisés comme variables d’ajustement budgétaires avec des hausses d’impôts ciblées et des suppressions d’aides aux entreprises (suppression de la TVA NPR , hausse de l’Impôt sur le revenu, taxe sur le rhum multipliée par 8, augmentation des cotisations sociales des travailleurs indépendants …soit une perte de 300 millions d’euros par an depuis cinq ans). Certaines de ces mesures figuraient dans le « Livre bleu de l’Outremer », lequel sous ce charmant vocable, annonçait la mise en branle d’une politique budgétaire implacable à l’égard des DOM, tracée par Bercy.

Une partie des économies réalisées dans les DOM a permis de financer les nouveaux besoins du ministère de l’Outremer concernant par exemple la départementalisation de Mayotte (car la départementalisation ne doit rien coûter à Bercy) xix ou encore l’AFD, et son vivier de consultants, plutôt que de redonner aux communes les moyens perdus avec la baisse des dotations de l’Etat afin de recruter des cadres ultramarins qualifiés, obligés de s’exiler en France hexagonale. Et, voilà maintenant que des renforts d’experts français dans le domaine de la coopération internationale au sein d’Expertise France, dépendant du groupe AFD sont annoncés dans les DOMxx, au motif de pallier la supposée « faiblesse » de « l’ingénierie locale ». 

5. Une TVA nationale coûte que coûte?

En matière d’économies à réaliser dans les DOM, la cible ultime de l’Etat, outre la prime de « vie chère » qu’il verse à sonxxi personnel civil et militaire (1,5 Md€) et qui, selon la Cour des comptes, « discrimine » les fonctionnaires de l’Hexagone, ce sont des allègements fiscaux considérés par Bercy comme un manque à gagner pour le budget de l’Etat (6 milliards d’euros), c’est-à-dire comme des « dépenses fiscales » de l’Etat : Octroi de mer à la place d’une TVA à 20%, taxe spéciale sur les carburants, défiscalisation du secteur productif, défiscalisation du logement social, abattement de l’impôt sur le revenu…

Si l’Etat avait appliqué la TVA nationale dans les DOM selon les règles nationales, il aurait gagné 3.7 Md€ de plus, d’où la fébrilité actuelle de Bercy vis-à-vis de l’Octroi de mer. Autrement dit, avec la survivance de l’Octroi de mer, Bercy se sent lésé.

Le recours à la « norme » budgétaire, établie par l’administration, permet de développer un argumentaire qui inverse les situations : les recettes fiscales locales n’appartiennent plus aux DOM mais à l’Etat. Cette norme vient justifier l’appauvrissement des plus pauvres au profit du budget de l’Etat : seuls 3% des recettes fiscales prélevées dans les DOM retourneront dans ces territoires, soit leur poids démographique.

Or, la TVA nationale est déjà appliquée (au taux de 8.5% ) à la Réunion et aux Antilles à côté de l’Octroi de mer. Et l’on peut se demander dans quelle mesure ce manque à gagner pour les budgets locaux n’explique pas la situation désastreuse des Antilles, devenues les régions les plus âgées de France, les jeunes étant de plus en plus contraints à l’exil.

 

Données DGCL

 

L’effondrement démographique des Antilles donne une image de ce qui se joue actuellement dans ces territoires, en raison de l’asphyxie des communes. A cet égard, la suppression de l’Octroi de mer communal serait une véritable catastrophe pour les DOMxxii.

6. L’alignement des impôts des DOM sur le droit commun : une réserve pour l’État…

Mais les priorités de l’Etat sont autres, en supprimant l’Octroi de mer et les autres dépenses spécifiques aux DOM, il peut envisager de réduire ses dépenses jusqu’à 7.5 milliards d’euros par an (le tiers de son budget à l’égard des DOM)xxiii  : soit 3 409 €hab., ce qui représenterait 231 milliards d’euros à l’échelle de la France, soit l’équivalent des recettes de la TVA ou la moitié de son budget….

Si l’effort à fournir par les DOM était mutualisé à l’échelle de la France, il tomberait à 100 euros par habitant (!).

Et, toutes les « dépenses fiscales » de l’Etat dans les DOM sont dorénavant considérées par les administrations centrales, non pas comme des compensations de retards ou de handicaps irréductibles mais comme une réserve disponible pour renflouer le budget de l’Etat. De fait, l’évaluation  des « dépenses fiscales » destinées aux DOM figure parmi les priorités du gouvernement, d’où le CIOM consacré à la « vie chère » et ce rapport d’évaluation  de la Cour des Comptes, (juge et partie ?), dont il est question aujourd’huixxiv. Le but : conclure que ces dispositifs sont inefficaces et les réorienter vers le budget de l’Etat.

Il convient de souligner que parmi les engagements de la France vis-à-vis de Bruxelles pour « améliorer significativement la gouvernance des finances publiques », dans le cadre de la Loi de programmation des Finances publiques 2023-2027, figure en première place « le plafonnement de l’évolution des dépenses fiscales ». Autrement dit, la suppression des « dépenses fiscales » dans les DOM, permettra à l’Etat d’en créer d’autres ailleurs.

7. Des politiques publiques qui mènent au chaos

L’Etat ne cesse de proclamer que le pouvoir d’achat des ménages « les plus fragiles » et le développement du secteur privé constituent ses priorités dans les DOM, mais leurs assises ne cessent d’être sapées avec la traque aux « niches » fiscales et sociales qui y atteint son paroxysme et qui s’ajoute aux économies de droit commun auxquelles les DOM sont soumis.

Les allègements fiscaux destinés aux DOM sont jugés « inefficaces » face à une crise économique structurelle alors qu’ils ont produit quelques résultats : le retard du PIB/hab des 4 DOM historiques était 70% plus bas que celui de la France en 1980, contre 30% à 50% aujourd’hui.

En définitive, tant que les populations des DOM seront confrontées à des inégalités ou discriminations en termes de droits ou d’accès à des services publics, un rattrapage des impôts de l’Etat ne peut leur être imposé. Et cela d’autant qu’elles sont lourdement mises à contribution pour financer la départementalisation, à l’image de la population mahoraise aujourd’hui qui ne bénéficie d’aucune solidarité nationalexxv.

Par conséquent, les ressources locales doivent permettre aux collectivités locales de répondre aux besoins des populations, face aux manquements de l’Etat, y compris séculaires, sans réparation.

Ces manquements séculaires sont doublés d’un désengagement budgétaire de l’Etat, au travers des décentralisations successives, avec des transferts de compétences compensés « à l’euro près » mais dont l’évolution de la charge, nettement plus dynamique dans les DOM en regard des enjeux de rattrapage, reste sur le compte des collectivités locales, c’est à dire des populations. Ainsi, l’acte fondateur de la décentralisation a été la création d’un octroi de mer additionnel pour les régions d’outremer (416 millions d’euros aujourd’hui).

Or, les populations des DOM contribuent de manière disproportionnée au redressement des finances publiques (baisse des dotations de l’Etat), car la péréquation nationale, ciblée sur les besoins sociaux des territoires défavorisés de l’Hexagone ne joue pas un rôle de bouclier face au désengagement budgétaire de l’Etat.

D’où le ressenti des populations d’un étau qui se resserre chaque jour un peu plus autour d’elles…

Le problème posé aujourd’hui, au-delà des préjugés officiels qui servent de diagnostics aux politiques publiquesxxvi, n’est pas tant celui de l’Octroi de mer (les expertises extérieures et les positions défensives n’y feront rien) que la posture d’un Etat tout puissant faisant prévaloir ses intérêts propres au détriment de l’équilibre fragile de ses anciennes colonies qu’il importe, par tous les leviers, de rattacher toujours plus à la France, en perte d’influence sur la scène internationale.

Ces politiques publiques centrales, où prédomine l’intérêt supérieur de l’Etat au mépris du sort des populations, ont abouti, après l’explosion sociale généralisée de 2009 et le soulèvement massif de la population guyanaise en 2017, à la révolte de la jeunesse antillaise en 2021xxvii ou encore, en 2022, à ce que d’aucuns ont appelé un vote « contre-nature » face à une violence institutionnelle indépassable : sentir sa terre s’ouvrir sous ses pieds comme un tombeau…

Contribution à titre personnel

Version finale, juin 2024

NOTES

i CIOM : Comité interministériel pour l’Outremer

ii La Cour des comptes demande que la prime de « vie chère » et d’éloignement soit ramenée aux écarts de prix avec l’Hexagone. Par ailleurs, elle propose de ne maintenir des avantages particuliers pour compenser l’éloignement et les conditions de vie plus difficile en outremer que pour les expatriés. Elle ne dit rien sur la situation des retraités de la fonction publique (voir infra).

iv Consignes de Choiseul au gouverneur de la Martinique sur la destination des colonies.

v Utiliser le levier fiscal provoque un coût budgétaire élevé pour des résultats modérés sur la baisse des prix.

vi Y compris les retraités de la fonction publique dont la prime de « vie chère » n’entre pas dans le calcul de leur pension. De sorte que pour la plupart des agents territoriaux, de catégorie C en général, partir en retraite c’est tomber directement sous le seuil de pauvreté.

vii Selon la Chambre régionale des comptes des Antilles Guyane en 2020 : « L’usage de l’octroi de mer est un facteur indirect de hausse des prix supporté in fine par les ménages les plus modestes.  L’affectation de l’essentiel de l’octroi de mer à une distribution de revenus improductive contribue à son tour à la hausse des prix à la consommation par l’augmentation du revenu disponible sur un territoire restreint sans production correspondante (…). Le renchérissement du coût de la vie en Guadeloupe est, ainsi, soutenu par la répartition du revenu disponible des ménages, plus forte qu’en métropole, selon l’INSEE (2018), les prix étant tirés vers le haut par le pouvoir d’achat des ménages les plus aisés. ».

En réalité, la prime de « vie chère » représente à peine 2% du revenu disponible des DOM, lequel est inférieur de 30% à celui de l’Hexagone, et aurait bien du mal à assumer le rôle de renchérissement du coût de la vie qu’on lui prête.

viii «  Comparaison économique des régions ultrapériphériques » Rapport final, DME Mai 2007

ix Idem pour la réforme du chômage.

x Voir Document 2 : « Les effets ravageurs de la refonte de l’Octroi de mer sur les prix, l’emploi et les finances locales».

xi En Martinique par exemple, la production locale compte 19 000 emplois directs. Et 1 emploi productif créerait 3 emplois indirects selon les analystes de l’INSEE. Par ailleurs, le secteur industriel est celui qui concentre l’essentiel des emplois hautement qualifiés en Martinique.

xii La baisse des dotations de l’Etat dans les DOM : 170 millions d’euros par an pour l’ensemble des collectivités locales + un passif d’un milliard d’euros en cumulé depuis 2014 que commence à peine à compenser le rebond actuel de l’Octroi de mer.

xiii Voir le Document 3.1 : « Les effets « pervers » de l’Octroi de mer sur les finances locales : Une construction».

xivUne étude de SOS racisme commandée par le ministère de l’égalité réelle en 2020, montrait que les Ultramarins étaient plus discriminés chez eux qu’en France hexagonale. Afin de limiter les discriminations à l’égard des Ultramarins, l’étude suggérait de mettre en place des politiques publiques comme une discrimination positive à caractère économique avec une incitation  à embaucher des ultramarins, à l’image des emplois francs.

xv Selon la Cour des comptes, la TVA c’est : « 150 dérogations existantes privent l’État de 48 milliards d’euros de recettes chaque année », « plus d’une dizaine de taux », sans compter une fraude à la TVA estimée à 25 milliards d’euros par an.

xvi Voir Document 4 « L’enjeu de la réforme ce n’est pas l’Octroi de mer mais la TVA nationale ».

xvii. Voir Document 2  « Les effets ravageurs de la refonte de l’Octroi de mer sur les prix, l’emploi et les finances locales»

xviii Pendant la pandémie de COVID 19 le gouvernement a profité d’un désordre conjoncturel pour supprimer définitivement de nouveaux impôts, telle la CVAE des grandes entreprises pour vingt milliards d’euros.

xix De fait, une grande part de la départementalisation de Mayotte est financée par les Ultramarins et par les Mahorais en particulier, comme cela sera vu dans le document 5 intitulé « La départementalisation ne doit rien coûter à l’Etat ».

xx Des crédits ont été inscrits dans le PLF 2024 pour financer le déploiement dans les DOM d’experts de France expertise, œuvrant habituellement en Afrique.

xxiL’Etat ne finance pas la prime de « vie chère » des communes à travers la DGF, mais reproche à l’Octroi de mer de le faire à la place de la DGF.

xxii Voir Document 3.1 : « Les effets « pervers » de l’Octroi de mer sur les finances locales : Une construction».

xxiii Tel que cela sera expliqué dans le document 4 (« L’enjeu de la réforme ce n’est pas l’Octroi de mer, mais la TVA nationale »), l’Etat ne pourra pas prélever tout de suite cette somme dans les DOM, mais ces chiffres faramineux sont brandis comme un argument irréfutable en pleine crise budgétaire pour justifier des « réformes structurelles », quoi qu’il en coûte aux populations. Au passage, ils alimentent le préjugé d’une gabegie des deniers publics dans les DOM, alors qu’il y aurait plutôt une pénurie de deniers publics (voir le document 5 : « La départementalisation ne doit rien coûter à l’Etat ».

xxiv « L’Octroi de mer, une taxe à la croisée des chemins », Cour des comptes, mars 2024

xxvVoir document 5

xxvi Voir documents 3.1 et 3.2

xxvii Sans que l’Etat n’ait apporté de réponse à la désespérance de la jeunesse, en dehors de l’installation du RAID, et d’un renforcement des moyens du RSMA.