— Par Jean-Marie Nol, économiste —
L’endettement global de la Martinique et de la Guadeloupe atteint en cette fin 2019 des records, au point de dépasser largement les niveaux de 2009, juste après la crise sociale, et c’est l’IEDOM (institut d’émission des départements d’outre-mer) à partir de chiffres vérifiables, qui tire la sonnette d’alarme. Une fois n’est pas coutume de le dire dans les cénacles de la politique Antillaise , les ménages, les entreprises et surtout les collectivités locales de Martinique et Guadeloupe restent encore considérablement endettés. Et cet endettement est problématique, car il s’inscrit dans un contexte de croissance en berne pour la France en 2020. C’est là une douche froide pour l’économie française qui devrait nettement marquer le pas en 2020 avec une croissance de 1,1%, a annoncé la Banque de France ce lundi 16 décembre. L’institution a révisé à la baisse ses projections de 0,2 point pour l’année prochaine et a maintenu celles pour 2019 à 1,3%. La détérioration de la conjoncture internationale devrait plomber les exportations de l’Hexagone. Et au surplus , les économistes n’écartent pas un impact significatif sur les déficits publics, la dette et surtout l’emploi. (on estime en effet qu’il faut 1,5 % de croissance minimum pour que l’économie crée des nouveaux emplois ). De tous les facteurs qui expliquent le malaise actuel des Français, et qui peuvent créer les conditions d’une nouvelle explosion sociale à tout moment, sur n’importe quel prétexte, bien plus forte que les retraites , il en est un qui, à mon sens, domine tous les autres : l’absence de croissance pour faire baisser le déficit budgétaire et faire reculer le chômage. C’est sans doute un des pires reproches qu’on peut faire aux dirigeants des 25 dernières années que d’avoir négligé cette fermeture croissante des élites au redressement des comptes de la nation , de ne pas avoir agi, et d’avoir laissé s’installer une telle problématique de désespérance en ce qui a trait au futur pour un endettement excessif. A l’instar de la France, le monde aussi est surendetté. Le volume total de dette représente aujourd’hui 250.000 milliards de dollars. Du jamais-vu ! Les économistes sont partagés sur les risques liés à cet endettement alors que les taux sont très bas. Certains envisagent même un nouveau scénario de crise financière à l’horizon de 1 à 3 ans.
Onze ans après la faillite de Lehman Brothers, le monde est-il toujours aussi inconscient ?
A ce jour, la dette globale, contractée par tous les agents économiques de la planète – ménages, entreprises, États – s’élève à plus de 250.000 milliards de dollars, 250 «trillions» donc. Ce qui représente 320 % du PIB mondial (240 % hors secteur financier). Et cette dette enfle, apparemment sans retenue. Au seul premier semestre 2019, elle s’est accrue de 7500 milliards de dollars! C’est un comble. En France : 2435 milliards d’euros : Alors, faut-il avoir peur de l’abyssale dette française quand on suppute que cela aura forcément en cas de crise systémique des répercussions en matière de réduction drastique de la dépense publique ?
«Nous venons de connaître la pire crise depuis celle des années 1929-1930 au siècle dernier», rappelle Jean-Claude Trichet, ancien gouverneur de la Banque centrale européenne (BCE), en référence à la crise de 2008, «c’était largement une crise de surendettement, et pourtant, le monde continue de s’endetter !»
Aujourd’hui, il est devenu très difficile de changer cela. A moins d’entreprendre des actions de très long terme, qui ne paieront pas avant au moins 15 ans. En faisant de l’équilibre budgétaire le point central de l’action politique, et non laisser libre cours à la dérive budgétaire. En ce qui concerne la Martinique et la Guadeloupe, il y aura bientôt des conséquences fâcheuses découlant de cette politique du pouvoir central, car la départementalisation est désormais un modèle économique et social qui tourne en rond.
Avant on s’en remettait au modèle des 30 Glorieuses, qui a permis au milieu du 20e siècle aux Antilles de passer du « colonialisme de la pénurie » à celui de la relative prospérité, puis de l’obsolescence (des biens et bientôt aussi des hommes avec la révolution numérique et l’intelligence artificielle ). La départementalisation a apporté à des milliers de personnes du confort, des facilités, un niveau de vie appréciable et apprécié. Mais ça c’était avant !
Alors que Gandhi disait lucidement voici 80 ans qu’«Il faut mettre un terme à cette course délirante qui conduit à vouloir toujours plus consommer », les Martiniquais et Guadeloupéens sont tournés vers la Terre promise de la Modernité, qu’ils interprètent en termes d’avoir et non d’être.
Or, depuis 30 ans ce modèle d’une société de consommation inégalitaire est grippé et tel un disque rayé tourne en rond. Fonctionnant de plus en plus sur des besoins artificiels et non sur l’utilité, il détruit sa base écologique comme on l’a vu avec l’affaire du chlordécone et accroît les disparités sociales. Qu’il s’enraye et c’est la catastrophe sociale, qu’il redémarre, la catastrophe écologique. Mais nos élus , ceux parmi eux qui ont un quelconque souci de l’intérêt général et de leur rôle, s’entend, n’arrivent pas à concevoir que ce modèle de la départementalisation est obsolète. Ils s’obstinent encore et toujours autour du véhicule économique en panne, sans arriver à autre chose que des mots tels différenciation et responsabilité.
Il faut retrouver la légitimité de cadrer l’évolution économique et social de la Martinique et la Guadeloupe à partir de la mutation de la société française , c’est vital, et déjouer ce sortilège maléfique de l’assistanat qui nous endort, nous plombe, alors qu’il nous faut bouger, et vite. Depuis toujours, l’on sait qu’il n’y a pas de développement sans argent (et pas de régulation sans marché local viable ). La volonté politique n’est pas là pour remédier sérieusement aux problèmes de mal développement de la Martinique et de la Guadeloupe. Malheureusement, tout au moins dans ses principes, une politique budgétaire correctement conduite sert non seulement à soutenir la conjoncture sans créer des déséquilibres dangereux, mais aussi, avec les autres instruments de la politique économique, à infléchir sinon déterminer un modèle de croissance dont le meilleur niveau d’emploi n’est pas le moindre de ses objectifs. La question n’est pas de savoir quelle est la meilleure politique économique pour y parvenir avec éventuellement un changement de statut , mais s’il est encore possible d’en avoir une tant les adhérences et les déficits hérités du passé interdisent en réalité toute marge de manœuvre volontariste. Le robinet d’eau tiède qui nous est présenté avec la différenciation politique pour la Guadeloupe et la Martinique n’est que la traduction de cet empêchement.
Jean-Marie Nol – économiste.