— Par Roland Sabra —
Noir. Faible lumière. Elle est là, dans le coin gauche du rectangle dessiné sur plateau. Noir. Faible lumière. Lui on le devine, en fond de scène, coté jardin. Elle L’oubliée. Lui, la présence, la musique. Lui se fera oublier. Elle, sa voix, sa voix, surtout sa voix qui débordera l’espace du cachot. Le noir de la salle et le noir du plateau confondus. Le noir de l’oppression. L’obscur percé par un objet lumineux : l’espace de jeu de la comédienne. Elle dit l’obscur qui la contient pour en faire un chemin vers sa lumière. Elle, « L’Oubliée », fille de sa Manman Bizarre et du « Vieux Maître », demi-sœur révoltée de celui qui l’enferme, inscrite dans une mémoire d’Afrique par une « Belle Congo », enceinte imaginaire d’un « vieil esclave » qu’un molosse indocile pourchasse. Elle est là toute. Et la scène ne peut la contenir. Elle envahit l’espace du théâtre. Elle saisit le spectateur par les tripes.
José Pliya confirme, s’il en était besoin, son talent de passeur entre littérature et théâtre. Son adaptation réalise ce miracle de convoquer l’essentiel de la représentation foisonnante du roman de Patrick Chamoiseau en ne retenant que la parole de la petite chabine et sans briser le continuum narratif du récit. Il en résulte une cohérence discursive distincte et néanmoins fidèle, dans sa nécessaire trahison, à l’oeuvre initiale. C’est donc par rapport à ce nouvel objet, théâtral en sa façon, qu’il faut apprécier le travail proposé et non pas dans le miroir de l’oeuvre qui l’a initié. Ce serait tomber dans cette critique facile qui consiste à reprocher à une oeuvre ce qu’elle n’est pas.
La mise en scène de Serge Tranvouez, s’inspire largement dans ses notes d’intentions de la lecture que Michel Pennetier avait faite de l’ouvrage pour Madinin’Art. » Un Dimanche au cahot » : un roman initiatique« . Son plus grand mérite est d’avoir su donner une dimension théâtrale à ce fil conducteur. La sobriété de la scénographie, à la limite du dépouillement restitue superbement la lutte entre l’Obscur et la Lumière, le combat entre la souffrance et la beauté.
Laetitia Guédon, qui avait déjà impressionné l’ensemble de la critique par son talent dans la mise en scène de Bintou, (Prix de la Presse Avignon 2009) réalise une belle performance de comédienne. Elle est réellement, la Chabine, l’Oubliée. Tour à tour récitante, incarnation vivante, conteuse d’une histoire qui la possède et qu’elle maîtrise, elle est surtout la voix des oubliés de l’histoire, elle est cette voix de lumière qui en réduisant l’indicible, en nommant l’innommable, cerne la Bête immonde et l’apprivoise. Elle est sur scène cette force qui traque le réel insoutenable en l’insérant dans les filets du registre des mots. « Le mot tue la Chose » dit-on en lacanie. La nudité du plateau, la limitation de l’espace de jeu à un rectangle, l’absence d’accessoire concourent à concentrer l’attention sur les changements d’expression et les infimes variations d’intonation elles-mêmes reflets des différents lieux d’effectuation de cette parole. Ce soir là on la sentait souffrante, malade réellement, prise par le rhume et attachée à magnifier le texte en découpant la phrase, en soulignant les mots et les syllabes pour nous le faire entendre comme un objet détaché et autonome dont elle n’aurait été que la servante.
L’accompagnement musical de Blade Mc/Ali M’Baye, tout en finesse et subtilité mais trop souvent étouffé, méritait une mise en valeur plus conséquente ne serait-ce que pour souligner le nécessaire dialogue qu’il entretient avec le texte.
Cette création mondiale en Martinique est promise à un bel avenir.
Fort-de-France, le 17/01/2015
Roland Sabra
Lire aussi :« Un dimanche au cachot » : les avis divergent, de Selim Lander
UN DIMANCHE AU CACHOT
Vendredi 16 Janvier 2015 à l’Atrium
Cie 0,10 – D’après le roman de Patrick Chamoiseau
Mise en scène : Serge Tranvouez
Adaptation théâtrale : José Pliya
avec Laetitia Guédon et Blade/Ali M’Baye