Disons tout de suite, ou plutôt rappelons qu’il n’y a pas de critique objective, au théâtre comme ailleurs. Le critique arrive plein d’entrain ou fatigué, l’estomac vide ou rempli, de bonne ou de méchante humeur, et tout cela, bien sûr, ne peut qu’influer sur sa manière d’accueillir le spectacle à propos duquel il devra, quoi qu’il arrive, donner son avis. S’il est un « vrai » critique, il a en outre le souvenir des centaines de pièces déjà vues, avec lesquelles il ne pourra s’empêcher de comparer celle de ce soir. La place où il est assis importe également pour beaucoup. S’il est un critique reconnu, et si les places sont numérotées, on lui aura réservé une très bonne place ; si ce n’est pas le cas, il risque de se retrouver trop loin ou trop sur le côté, en tout cas pas là où il pourrait avoir le meilleur point de vue sur la scène et les comédiens⋅ Dans la salle Frantz Fanon de l’Atrium, pardon, de l’EPCC Martinique, les places ne sont pas numérotées ; la prudence étant bonne conseillère, nous sommes arrivé suffisamment à l’avance pour être assis au troisième rang, presque de face, un emplacement à peu près idéal⋅ Par ailleurs nous n’étions pas plus fatigué que d’habitude, ne sortions pas d’une scène… de ménage, notre estomac n’était ni trop rempli ni criant famine, bref tout était réuni a priori pour que nous goûtions sereinement le spectacle. Nous nous souvenions d’ailleurs avoir fortement apprécié, dans cette même salle, il y a déjà pas mal d’années, L’Esclave et le molosse, également adapté de Patrick Chamoiseau, également un monologue. Nous étions donc favorablement disposé, comme d’ailleurs tout le public, nombreux, acquis d’avance au grand auteur martiniquais. Or, en dépit de ces conditions favorables, avouons un avis moins enthousiaste que celui de notre collègue et ami Sabra.
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Le rideau se lève, pardon, le noir se fait dans la salle, puis les projecteurs de scène s’allument : le spectacle peut commencer. Un rectangle noir de faibles dimensions, entouré de sable clair, est dessiné sur la scène, au plus près du public ; à l’évidence c’est le cachot dans lequel évoluera l’interprète, Laëtitia Guédon. Elle n’en sortira pas jusqu’à la fin du spectacle. Elle est vêtue d’une robe noire, informe, évoquant la tenue misérable des miséreux de jadis. Or l’Oubliée est esclave, misérable entre les misérables.
Ceux qui ont lu l’œuvre de Chamoiseau se souviennent que la petite esclave n’a pas seulement vécu au fond du cachot et que, même quand elle s’y trouve prisonnière, elle vit toute une série d’aventures ou d’expériences sensorielles (à chacun d’en décider) inédites. Les extraits d’Un dimanche au cachot retenus dans l’adaptation théâtrale rendent bien compte de l’histoire de l’Oubliée, tragique et prenante, écrite dans une belle langue poétique, qui a donc tout pour séduire les spectateurs. Alors, pourquoi, contrairement à notre collègue, n’avons-nous pas « marché » ?
La motivation de Laëtitia Guédon n’est pas à mettre en cause. De son talent nous ne saurions en décider sur la base d’une représentation qui résulte de l’interaction entre la comédienne et le metteur en scène. Qu’avons-nous vu (et entendu) ? Le jeu, pour commencer, limité par les quatre côtés d’un rectangle exigu, sans aucun accessoire, ne pouvait guère évoluer au-delà de quelques gestes basiques : se dresser, écarter les bras, le buste en avant, ou au contraire se recroqueviller sur soi-même, avancer ou reculer de quelques pas. La restitution du texte était une autre affaire et l’on aurait pu plus facilement varier les registres mais tel ne fut pas le parti retenu. À de rares exceptions près, la comédienne s’en est tenue à une profération incantatoire, avec une curieuse façon d’insister sur les syllabes finales (« la bête lon – gue »). Jamais ou presque nous n’avons entendu la voix de l’Oubliée elle-même, mais plutôt celle d’un prédicateur censé nous émouvoir avec le destin lamentable de l’Oubliée. Or les prédicateurs, de nos jours, n’émeuvent plus grand monde…
Relégué dans un coin au fond de la scène, dans la pénombre, un musicien human beat box, Blade, est chargé de l’accompagnement sonore… et de fournir à la comédienne, qui en a bien besoin, quelques moments de respiration. La présence d’un musicien, et de Blade en particulier, semble une bonne idée. Cependant, lors de la première, sa place dans le spectacle n’apparaissait pas encore bien définie.
Si Un dimanche au cachot, dans son état présent, n’a pas soulevé notre enthousiasme (pas plus que celui des spectateurs – pourtant a priori favorables – à en croire l’applaudimètre), il est sans nul doute perfectible. Laëtitia Guédon, qui a déjà triomphé dans Bintou de Koffi Kwahulé, un texte d’une rare violence, est certainement capable de varier davantage son jeu. Acceptons-en l’augure.
La première a eu lieu le 16 janvier 2015 à l’EPCC Martinique.