— Par Dominique Daeschler —
Comme à son habitude, au théâtre de l’Oulle, Julie Timmerman empoigne le plateau et le spectateur. Pas de décors : le juste nécessaire ( une table, un fauteuil, un grand tableau) qui permet les changements à vue. De façon quasi obsessionnelle, les murs sont recouverts d’affiches, de photos, de cartes : il convient d’expliquer pour bien comprendre, pour convaincre, faire exister sa pensée. Et il faut aller vite, vite, pardon papa Brecht, car aujourd’hui c’est le temps des fake news, du Big Data.
C’est comme ça que se raconte, face public, l’histoire d’Edward Berneys, neveu de Freud, parti aux États-Unis, pour devenir un manager. Il y a des mots « couverture » à large spectre, comme relations publiques par exemple, qui vont permettre, sans faire peur, de manipuler le désir et l’ envie. On parle de segment, d’émotion. Rien à vendre je vous dis :le tour de force c’est de faire croire à l’autre que c’est lui qui décide, choisit. Tour de passe-passe : introduire une idéologie dans le choix.
Quatre comédiens se démènent, chacun à son tour est Berneys ; ils racontent comment appeler les femmes à fumer dans la rue pour augmenter la vente sous couvert d’égalité et d’émancipation, comment on achète les politiques et les hommes d’affaires ( Guatemala). Le rôle des grandes puissances et des service secrets est évoqué avec une élégance désinvolte et cruelle.
Bien sûr on ne parle jamais de publicité puisqu’on ne vend rien. Pervertir des jugements, introduire une déviance des faits, s’en servir pour arriver à ses fins et faire croire ce que l’on veut dans l’interprétation, cela se fait avec des éléments de langage, une façon de raconter qui aura des conséquences sur le ressenti, déterminant des comportements qui serviront « la cause ». Les idées de Berneys ont inspiré Goebbels : de la manipulation de l’individu à la manipulation des foules qui s’appellent aussi citoyens, concitoyens.
Les quatre comédiens , qui font souvent les mêmes gestes, se partagent un récit qui s’étrangle, se disloque, secoue le spectateur par son rythme , le laissant macérer , haleter et chercher le rapport qu’il peut faire avec l’ici – maintenant .
Même pas peur ! Hum, hum…La dissolution, les élections, l’envoi de merde d’une Corée à l’autre, la tentative d’assassinat de Trump et son poing levé…
Seule la maturité d’un groupe peut faire sen et renverser un pouvoir manipulateur, à charge de changer de paramètres… C’est possible dit le théâtre.
Dans Un démocrate, Julie Timmerman démontre sa capacité à faire sens, multipliant signes et symboles, mettant les acteurs sur le fil. Pari gagné dans une intelligence absolue de contenu et de jeu. Attention cependant à la boulimie…
D Daeschler
Cie Idiomecanic
Texte et mise en scène
Julie Timmerman
Avec Mathieu Desfemmes, Anne Cressent, ou Marie Dompnier, (en alternance), Jean-Baptiste Verquin, ou Guillaume Fafiotte, (en alternance), Julie Timmerman, ou Elise Noiraud, (en alternance),
Dramaturgie Pauline Thimonnier
Scénographie Charlotte Villermet
Lumière Philippe Sazerat
Costumes Dominique Rocher
Musique incent Artaud
Son Michel Head
Assistante à la mise en scène Claire Chaineaux
Stagiaire Christine Nogueira
Production/diffusion Anne-Charlotte Lesquibe
Pour Action Scènes Contemporaines attachée de presse Nicole Czarniak
Administration Gingko Biloba
Décor réalisé par les élèves de DTMS – option Construction-Machiniste – du Lycée Léonard de Vinci, en partenariat avec le Théâtre d’Ivry-Antoine Vitez.
Durée 1h25