Un mois presque entièrement consacré au cinéma iranien avec quatre des cinq films présentés. On a suffisamment de souvenirs enthousiastes de ce cinéma – à commencer par Une séparation – pour apprécier l’occasion qui nous est donnée d’entrer davantage dans les productions d’un pays qui se caractérise à la fois par le nombre de réalisateurs talentueux et la présence d’une censure tatillonne. Ceci explique que certains de ces réalisateurs aient choisi l’exil, faute de pouvoir s’exprimer librement chez eux. D’autres, comme Jafar Panahi préfèrent demeurer dans le pays qui nourrit leur inspiration, quitte à filmer dans des conditions précaires et à ne pas être diffusés en Iran.
Le Président, de Mohsen Makhmalbaf, a été, pour sa part, entièrement filmé à l’étranger, en Géorgie. C’est une fable qui vaudrait pour n’importe quelle dictature, et – pourquoi pas ? – celle qui sévit en Iran. Le film qui raconte l’odyssée du dictateur en fuite avec son petit-fils élevé comme une marionnette militaire, n’est pas parfaitement réussi. Quelques scènes fortes ne suffisent pas pour excuser des longueurs (le film dure deux heures) et une désinvolture frisant l’amateurisme. La fin, édifiante à souhait, veut nous faire croire à la rédemption du dictateur, comme s’il avait besoin d’être lui-même réduit à la misère pour se découvrir une fraternité avec les miséreux. Le « Président » meurt quand même à la fin, sous les coups de ceux qui l’ont reconnu tandis que le petit-fils est épargné : la morale est donc sauve.
Happy end, également dans Une femme iranienne de Negar Azarbayjani. On ne sait d’ailleurs pas très bien de laquelle il s’agit dans le titre, car elles sont deux, toutes deux d’un courage exemplaire, alors que les hommes de film ne sont que des caricatures. Deux femmes donc, et d’abord une conductrice de taxi qui assure la matérielle pendant que son mari croupit en prison pour dettes (des dettes qu’il n’a pas lui-même contractées, ce qui justifie que sa femme continue à l’aimer). La deuxième s’inscrit dans le T de « LGBT » : elle aspire désespérément à devenir un homme et se heurte à l’opposition farouche de son père, lequel veut absolument la marier pour résoudre le problème. En raison d’un concours de circonstances qu’on ne racontera pas, ces femmes se rendent successivement plusieurs services. La conductrice aide la « trans » à s’enfuir et cette dernière lui porte également assistance. Tout est bien qui finit bien : La trans échappe à son père et sera opérée en Allemagne, tandis que la conductrice retrouvera son époux chéri libéré de ses dettes. Le film est bien mené, la relation entre les deux femmes – complexe car la conductrice est confite en dévotion – ne manque pas d’intérêt, il y a de belles vues sur la montagne iranienne enneigée. Si Une femme iranienne n’est pas une réussite inoubliable, les films iraniens présentent toujours l’intérêt de nous faire découvrir une société pleine de contradiction, écartelée qu’elle est entre les aspirations à la modernité d’une frange importante de la population (il y a davantage de filles que de garçons dans les universités) et un pouvoir qui impose une religion obscurantiste.
Nous n’avons malheureusement pas pu voir Nahid, d’Ida Panahandeh, autre réalisatrice iranienne qui se penche également sur la condition féminine. C’est donc sous condition que nous décernons à Jafar Panahi notre propre palme à l’occasion de ce mini festival du cinéma iranien. On a beaucoup parlé dans les médias français de Taxi Téhéran à sa sortie en salles, ours d’or de la Berlinade 2015. Bien qu’il mette en scène un chauffeur de taxi, il ne ressemble en rien au film précédent. Les Martiniquais ont peut être entendu sur France Inter son complice exilé en France, qui se charge de la diffusion du film. Panahi, cinéaste interdit qui a déjà dû payer son esprit critique de quelques mois d’emprisonnement, est le producteur, le réalisateur et le monteur de son film dans lequel tournent des comédiens anonymes, et pour cause. Panahi se promène dans Téhéran au volant d’un taxi où il fait monter ses personnages. Les sketchs successifs sont autant d’occasions de mettre le doigt sur certaines tares de la société iranienne : les trafics, la superstition, la répression, la censure, la violence publique (les condamnations à mort dont le régime abuse, la police islamique) ou privée, la misère et, bien sûr, la condition féminine… Sur ce point, le spectacle de la rue, avec ces femmes dissimulées de la tête aux pieds sous un voile noir est déjà suffisamment éloquent. Si elles ne sont pas toutes vêtues ainsi – les plus décontractées s’habillent d’un foulard, d’un chemisier strict et d’un pantalon –, elles sont néanmoins suffisamment nombreuses pour que l’image de la femme iranienne soit celle d’une religiosité archaïque. Pour mesurer à quel point la « Révolution » a « réussi », il suffit de comparer les images du film avec des photos datant de la période pré-Khomeiny, lorsque les femmes étaient massivement vêtues à l’occidentale. Ce n’est qu’un exemple, si ce n’est pas le moindre, car la théocratie iranienne exerce bien d’autres ravages. Avis au peuple français : l’islam n’est pas une religion comme une autre ; il y a des cas où la tolérance devient de la faiblesse. Pour en revenir au film, il faut souligner que la pertinence et la gravité du propos s’accompagnent d’une grande liberté de ton, où domine la fantaisie. On apprécie en particulier, dans la deuxième partie du film, le personnage de la nièce pré-adolescente qui ne cesse elle-même de filmer avec son appareil photo tout ce qu’elle voit, en débitant des propos impertinents comme on en tient souvent à cet âge.
Taxi Téhéran est au premier degré un film politique, au second degré un objet cinématographique original et attachant. Il ne sera vu en Iran que sous le manteau et ne pèsera pas lourd face aux « gardiens de la Révolution ». Il aura été vu, en France, par la classe intellectuelle et bourgeoise qui fréquente les salles d’art et essai. Puisse-t-elle prendre son message au sérieux et ne pas se contenter de vanter le courage du réalisateur et les qualités formelles d’un film fabriqué « avec des bouts de ficelle » !
La Terre et l’ombre est, quant à lui, un film colombien de César Acevedo, très apprécié par les jurys du dernier festival de Cannes où il reçut, entre autres, la Caméra d’or de la Semaine de la critique. On conviendra en effet qu’il s’agit d’un film puissant. L’argument est pourtant rébarbatif puisqu’il tourne autour de l’agonie d’un paysan pauvre. Sa femme et sa vieille mère doivent s’engager à la journée pour couper la canne, tandis que le grand-père, pas assez valide et qui s’était échappé depuis longtemps de cette condition misérable, est tenu de revenir au bercail pour prendre soin, pendant leur absence, du malade et du petit-fils. Le père meurt à la fin et tout le monde quitte la ferme où il est décidément trop difficile de vivre, à l’exception de la grand-mère, accrochée à sa terre comme l’arapède sur son rocher.
En dehors de la force des personnages, le film revêt un intérêt particulier à la Martinique dans la mesure où il se déroule dans une région de monoculture de la canne à sucre. On n’ignore pas sans doute que seuls deux modèles d’exploitation de la canne à sucre s’avèrent rentables de nos jours. Soit la culture extensive très mécanisée (Australie, Etats-Unis), soit la culture sur des domaines souvent plus restreints, employant une main d’œuvre très bon marché (Amérique latine, Saint-Domingue, Cuba). Il existe bien un troisième modèle, que nous connaissons particulièrement bien, puisqu’il est désormais le nôtre, qui utilise une main d’œuvre coûteuse sur de petits domaines, mais il ne se maintient que grâce aux subventions. La Terre et l’ombre, tourné en Colombie, peut donc être regardé aussi comme un documentaire sur les plantations des pays du sud. Il peut ainsi nous aider à percevoir ce qu’étaient les conditions des travailleurs de la canne, en Martinique, il y a quelques décennies.
Enfin, on ne saurait conclure ce billet sans mentionner les courts métrages d’animation projetés à l’intention des petits et des grands regroupés sous l’intitulé « La petite fabrique du monde ». Cette projection qui a eu lieu un mercredi matin à l’Atrium même doit d’autant plus être signalée qu’elle a réuni fort peu de spectateurs, malgré son prix modique (3 €), alors que tous les films projetés étaient des (petits) chefs d’œuvre d’invention et de poésie. Certains étaient produits par des élèves d’écoles d’art, preuve qu’il existe une pépinière de jeunes talents dans le domaine. Il est difficile de parler de « dessins animés » à propos de ces œuvres qui étaient plus souvent « fabriquées » à partir de carton plié. Avis aux parents (et aux amateurs) : la prochaine séance, le 23 mars, permettra de découvrir des réalisateurs chinois.
29 février 2016