Un avant et un après Kémi Séba

— Par Yves-Léopold Monthieux 

J’aime bien les analyses de Fred Constant, professeur de sciences politiques à Paris qui nous changent des prises de position orientées auxquelles nous sommes habitués. Il en est ainsi de ses réflexions sur les Déclarations russes sur la Martinique. Il nous apprend que la venue de Kémi Séba en Martinique en 2018 avait été financée par la Russie. C’est le genre d’information qui, en Martinique, est juste apte à attirer les ricanements des sachants qui, eux, nous font rarement connaître leurs savoirs. Cela peut néanmoins surprendre lorsqu’on sait que le passage de l’hôte panafricain avait précédé le déclenchement de la guerre d’Ukraine et avait été bien avant le point de départ des mouvements activistes « décoloniaux ». La visite de Kémi Séba avait servi en quelque sorte à « déniaiser » ces derniers. En effet, en prenant la tête de l’équipée qui allait envahir le supermarché de Génipa et répandre sur le sol le sucre du Gallion, il avait en deux coups de cuillère à pot initié ses affidés, médusés, et semblé leur dire : « voilà comme il faut faire ». Il pouvait reprendre l’avion.

En effet, dès le 2 mai 2018, dans l’article Kémi Séba à Génipa : La cause indépendantiste a-t-elle gagné des points, j’écrivais : « Le nommé Kémi Séba a dû … s’étonner que l’expédition [l’envahissement du supermarché Génipa] ait été annoncée publiquement et qu’il ait pu quand même pénétrer dans les lieux à la tête de sa troupe sans en être empêché par la « police coloniale ». Serait-on moins mal traité en colonie française qu’en France, a-t-il pu se dire ? … Ainsi donc, davantage que les visites des filles de Malcolm’X et Guevara, mieux que le journaliste russe (hôte déçu du PPM …) qui sont en recherche d’un colonialisme à défaire, Kémi Séba aura servi la cause indépendantiste martiniquaise. Qu’importe que la chose paraisse absurde et donne des frayeurs aux anticolonialistes bourgeois » (référence aux cris d’orfraie de l’époque de la part d’élus autonomistes, repris dans : Les activistes panafricanistes échappent à leurs sorciers – ylm – 6 mars 2020).

Le 3 avril 2024 j’ajoutais (Six ans déjà… Kémi Séba à Génipa) : « Les émois suscités par la réaction de celui-ci (KS) au sujet de la nationalité française, notamment la destruction par le feu de son passeport français, me conduisent à republier l’article ci-dessous, paru en 2018. Six ans plus tard, on peut considérer la manifestation de Genipa comme le vrai début de l’activisme en Martinique, qui sera suivi, entre autres, par les déboulonnages de statues ou les mises à feu de restaurants. En Martinique il y aura eu un avant et un après Kémi Séba. »

Entre temps j’avais écrit le 29 décembre 2021 dans « La main invisible du désordre » : « en effet, tous les évènements intervenus depuis le premier bris de statue et même de l’équipée du centre commercial Génipa sous la houlette de Kémi Séba, ont comme fil conducteur la défiance de l’Etat et la volonté de lui porter atteinte dans le cadre de la lutte anticoloniale. La philosophie est connue, la méthode éprouvée : les militants d’idéologies diverses peuvent s’engouffrer dans le tunnel ainsi défini ».

J’ignorais que la « main invisible » pouvait provenir de Russie et de son proxy Azerbaïdjan. Des élus martiniquais ont entrepris de rendre cette main de plus en plus visible et de décomplexer la revendication indépendantiste.

Fort-de-France, le 4 octobre 2024

Yves-Léopold Monthieux