« Célébration » Llewellyn Xavier à la Fondation Clément
— Par Roland Sabra —
Sa peinture et/est sa vie. Difficile de démêler l’une de l’autre. Et pourquoi le ferait-on ? L’œuvre d’un artiste ne s’explique pas par la biographie du créateur. Et pourtant puisque l’une ne va pas sans l’autre, elles dialoguent, s’apostrophent, se confondent, se font l’amour.
Le Sieur Llewellyn Xavier, troisième d’une fratrie de six enfants, est né en 1945 à Sainte-Lucie d’une mère métisse revendiquant du sang à la fois de noblesse française et de souche caribéenne dans ses veines , et d’un père, dont on sait peu de choses, si ce n’est que coureur de jupons il fût retrouvé mort, découpé en morceaux quand Llewellyn atteignit ses quatorze ans. Le Peintre Llewellyn Xavier est né à la Barbade au tout début des années soixante, quand le jeune homme du même nom alors agé de seize ans et employé chez un agriculteur spécialisé dans les agrumes et de nombreuses variétés d’hibiscus, reçoit en cadeau de la part d’un co-locataire une boite de peinture. Était-ce un don du ciel ? L’annonce divine d’une prédestination par l’intermédiaire d’un ange Gabriel caribéen ? On ne sait mais Llewellyn Xavier ne manquera pas de se poser la question un quart de siècle plus tard quand pris dans un épisode mystique intense il envisagera sérieusement la possibilité d’entrer dans les ordres. Il y renoncera, persuadé sans doute que sa mission sur terre était d’accomplir son destin de peintre. Si Dieu n’existait pas il faudrait l’inventer pour le remercier. C’est d’ailleurs ce que l’humanité à fait, à plusieurs reprises et sous diverses formes.
Il a donc seize ans et dès ses tout premiers tableaux on retrouve ce qui fera son identité à savoir, entre autres, une technique d’empattement au couteau de peinture à l’huile ou d’acrylique (impasto). Ses réalisations initiales, plus traditionnelles certes que les œuvres tardives montrent déjà une élaboration, une sophistication qui dénote avec les productions des peintres de sa génération des West Indies anglophones, très imprégnés des Grands Maîtres qu’ils avaient étudiés dans les livres.
C’est toujours à la Barbade qu’il rencontra ses deux premiers mécènes, anglais d’origine. Le premier était Peter Billington, mélomane averti qui lui acheta ses premiers tableaux et qui lui fit découvrir la musique classique, en particulier les opéras de Verdi Richard Strauss et Berlioz qu’ensemble ils allèrent écouter au Covent Garden quand Llewellyn Xavier s’installa à Londres chez le vice Président de la Barclay’s Bank Georges Money son autre mentor. Il lui servit de conseil dans la construction d’une collection de tableaux.
Néanmoins toute cette période est plus marquée par l’École de Paris, dominée par le très à la mode Bernard Buffet que par l’influence anglaise. La fin des années soixante et le début des années 70 sont celles où la marque de Nicolas de Stael et dans une moindre mesure celle de Vieira da Silva qui au delà de leur ambiguïté tracent une voie entre art abstrait et art figuratif. Cela deviendra une caractéristiques majeures de son travail particulièrement dans ses peintures à huile. Nicola de Stael l’a conduit aussi vers une exubérance vers un travail riche en ajouts sur les surfaces comme on peut le constater dans ces derniers travaux exposés à la Fondation Clément.
C’est à Londres aussi qu’il découvre le racisme britannique, au retour d’un concert au Covent Garden en étant confronté à un graffiti sur les murs du métro londonien qui disait » Niggers Out. » Ce sera une des motivations de son engagement en faveur du militant noir George Jackson, emprisonné à vie pour unvol de soixante dix dollars qu’il n’a pas commis. Llewellyn Xavier avait lu au début de 1971 Les Lettres de prison publiées sous le nom de Soledad brothers ( Les frères de Soledad en français) Il va créer à l’occasion un Art Postal tout à fait original. Des dessins à l’encre inspirés par cette injustice sont enroulés autour d’un tube en carton et sont envoyés à des personnalités politiques ou artistiques qui vont y porter leurs commentaires, leur signature et réexpédies à George Jackson qui de nouveau les renverra, avec des timbres de la prison et du monde entier à d’autres personnalités. On trouve sur ces dessins, les signatures, de Jean Genet, John Lennonn, Yoko Ono, James Baldwin, Peter Hain…
Sa formation initiale se termine à la trentaine par un long voyage autour du monde en compagnie de George Money, sur les traces de Gauguin. Puis suivront d’autres années aux Etats-unis, au Boston School Of Museum of Fine Art, au Canada au Nova Scotia College of Art and Design. Mais a-t-on fini, un jour d’apprendre ?
Dans son premier métier de jardinier, il donna naissance à deux variétés d’Hisbiscus enregistrées à l’American Hibiscus Association. L’une d’entre elles, très originale avec des fleurs rouge sur un fond jaune se nomme Stella St John, en l’honneur de Lady St John épouse de Bernard St john , premier ministre de Barbade de 1985 à 1987. Il fait aujourd’hui retour sur ces premières amoures en reportant les enseignements de son militantisme politique dans un engagement écologique au service de la préservation des richesses naturelles de son île natale.
L’exposition « Célébration » à la Fondation Clément est composée autour des toutes dernières œuvres de Llewellyn Xavier, datées de 2016 et 2017 qui, pour le coup semblent s’affranchir, sans jamais renier tout de ce le peintre a appris pour livrer une quintessence de son art. La première chose que l’on voit est le relief, le volume de la gestuelle du peintre dans des oeuvres qui suggèrent, qui sollicitent, qui tutoient la troisième dimension, celle de la profondeur de l’acte pictural. De l’École de New York on retrouve la grande taille des toiles peintes all over, avec des éléments picturaux disposés de manière égale sur toute la surface disponible et cette impression de débordement du cadre qui tente de les contenir. Une façon aussi de mettre en valeur la couleur utilisée comme matière en s’attachant à sa texture, à sa consistance et aux gestes de l’artiste. De l’impressionnisme on peut noter, la trace du pinceau ou du couteau, l’utilisation de couleurs pures, leur juxtaposition violente et subtile, le contraste et le fondu du mouvement, la fugacité du saisissement et surtout la lumière, la lumière…
Aujourd’hui Llewellyn Xavier est un homme libre, dans la plénitude de son talent, fidèle à lui-même avec le sentiment d’être investi d’une mission sacrée si ce n’est « divine » : apprendre à regarder, à voir, à aimer la beauté d’un monde menacé.
Fort-de-France, le 04/08/2017
R.S.
A lire : Llewellyn Xavier: His Life and Work (MacMillan Caribbean Art Collection) Hardcover – January 1, 2007
by Edward Lucie-Smith (Introduction), Lowery Stokes Sims (Foreword)