Anthropologues et psychanalystes voient à l’œuvre de puissantes forces inconscientes dans le conflit qui oppose François Fillon et Jean-François Copé.
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Dans un ouvrage sur la psychologie des hommes politiques, Jean-Pierre Friedman, psychanalyste, écrivait que «le pouvoir est une maladie mentale» (Du pouvoir et des hommes, Michalon, 2002). «La guerre actuelle à l’UMP en est une nouvelle illustration, déplore-t-il. Nous ne sommes plus à l’époque du poison et des coups de poignard, mais on voit là que les ressorts sont les mêmes. Deux hommes, issus de la même famille, veulent à tout prix le pouvoir et leur pulsion a pris le dessus sur leur intelligence. Il est évident que leur attitude est suicidaire, mais c’est comme s’ils se disaient: “Je préfère détruire le parti que de ne pas être le premier.” L’UMP voulait opposer un homme fort à François Hollande, qualifié de “mou”. Au lieu de ça, il aura un président contesté, affaibli et décrédibilisé.»
Psychanalyste, Michel Schneider voit dans la lutte «pour le pouvoir et pour l’argent» qui se joue depuis une semaine «une bataille attristante entre deux ego, deux personnages mus par le cerveau reptilien et non par la pensée rationnelle, pensant avec leur nombril – pour ne pas dire plus bas. Tout cela est très régressif.» Chacun étant poussé par ses propres troupes, qui défendent à travers leur «chef» des intérêts personnels. Le psychanalyste pointe aussi «la blessure narcissique de François Fillon, qui pensait gagner l’élection», mais à qui la victoire échappe à quelques voix près, et «qui ne parvient pas à lâcher prise».
Un conflit fraternel
Anthropologue et psychanalyste, Olivier Douville, lui, estime que la bataille entre Jean-François Copé et François Fillon est avant tout «un affrontement entre deux fils qui se réclament du même père». «Fillon est le grand frère qui dit à la France: “Je suis légitime”, et place Copé en position d’allégeance. Copé, lui, veut faire comme Nicolas Sarkozy, mais cette méthode ne marche pas.» Pour le psychanalyste, l’intervention d’Alain Juppé dimanche était vouée à l’échec aussi sûrement que l’est aujourd’hui celle de Nicolas Sarkozy. Car, pour résoudre un conflit fraternel, «Copé et Fillon ont besoin d’un surmoi, qui, comme le fut de Gaulle pour la droite, est capable de tracer les limites, la ligne à ne pas franchir».
Aux yeux de Michel Schneider, l’éclatement de l’UMP semble désormais inéluctable: «Le degré de violences et de blessures infligées par chaque camp rend difficile une réconciliation. Le risque est d’arriver à l’éclatement, même si les partis politiques sont de robustes machines et qu’il suffit parfois d’éliminer quelques pièces défectueuses pour repartir. Cet affrontement de mâles aura des conséquences durables et coûteuses…»
Les partisans de l’anthropologie politique pourraient, quant à eux, comparer la situation actuelle de l’UMP à celle qui se noue entre le roi et les chefs bahimas en Ouganda, lorsque l’un d’eux refuse de faire allégeance au nouveau roi. Dans ce royaume étudié dans les années 1960, le seul moyen dont dispose le chef bahima pour contester l’autorité du roi est de ne pas accorder son hommage. C’était, croyait-on, le dénouement il y a une semaine, lorsque François Fillon prenait acte des résultats proclamés par la Cocoe – sans se ranger derrière le nouvel élu. Mais la situation empire dès lors qu’un chef bahima en incite d’autres à se joindre à lui pour défier le roi plus efficacement et à lui rendre hommage plutôt qu’au roi. Avec des conséquences économiques puisque c’est alors le chef bahima qui récupère les tributs en vaches normalement destinées au roi. Exactement ce qui se passerait – la conversion de vaches en euros près – si des parlementaires décidaient de former un groupe autonome autour de François Fillon. La guerre est alors inévitable. Une guerre fratricide.
Le Figaro 27/11/2012