— Par un collectif d’entrepreneurs —
Face à l’intransigeance des États-Unis, la France souhaite désormais demander l’interruption des négociations du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership, appelé aussi Transatlantic Free Trade Agreement/Tafta).
Elle promeut en revanche une adoption rapide de l’accord entre l’Union européenne (UE) et le Canada, appelé CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement). Selon la Commission européenne, nos PME seront les premières bénéficiaires de ces futurs accords. Permettez-nous d’en doute
Les études prévoient au mieux des retombées très faibles sur la croissance et l’emploi, voire négatives. Seules 0,7 % des PME françaises exportent vers les États-Unis. Leurs échanges pourraient être facilités mais quels seront les impacts sur les 99 % restantes ? Pourquoi refuser de mener une étude approfondie par secteur et par pays pour y répondre ?
Ouvrir l’accès à nos marchés nationaux
Nos entreprises subissent déjà la concurrence de multinationales qui localisent leurs activités au gré des opportunités fiscales, sociales ou environnementales. Le TTIP et le CETA visent à ouvrir encore l’accès à nos marchés nationaux, y compris publics, sans garantir des règles du jeu plus équitables.
Comment consulter les PME quand l’opacité des négociations condamne les citoyens et les entrepreneurs à compter sur la fuite d’informations confidentielles ? Ces projets dépassent pourtant les enjeux classiques d’un traité de libre-échange ; les droits de douanes étant déjà relativement faibles entre les deux continents.
Derrière l’objectif d’harmonisation réglementaire, les normes alimentaires, sociales ou environnementales sont en jeu. Les Etats-Unis demandent ainsi la libre circulation des données personnelles, alors même que des préoccupations demeurent sur les garanties en matière de protection dans le cadre du « Privacy Shield » [« bouclier de protection de la vie privée »] récemment négocié.
Dans le CETA, comme dans le projet de TTIP, le principe de précaution à l’origine notamment de l’interdiction de certains produits chimiques dans l’agriculture ou la cosmétique n’est pas mentionné. L’UE, elle, s’en prend à la régulation financière aux Etats-Unis renforcée après la crise et aux dispositions en faveur des PME dans les marchés publics nord américains.
Droit de regard sur nos lois
La nécessaire simplification des règles ne doit pas être utilisée pour en réduire la portée. Le risque est de retenir par secteur la plus laxiste des normes en vigueur ou de leur reconnaître une équivalence sans pour autant les aligner, exposant ainsi les producteurs locaux qui misent sur la qualité et la durabilité à une concurrence difficile à soutenir. Quant aux appellations d’origine contrôlée, les Canadiens n’en ont reconnu qu’une poignée et les Etats-Unis ne veulent pas en entendre parler.
Mais il y a plus grave encore que la menace sur la pérennité de nos entreprises. Ces accords font aussi peser une menace nouvelle sur nos démocraties. La capture réglementaire par les acteurs privés les plus influents mine le contrat social. Les multinationales sont les principales parties prenantes consultées.
Or les accords en préparation qualifiés de vivants visent à institutionnaliser leur droit de regard sur nos lois et à les autoriser à poursuivre les États devant des tribunaux d’arbitrage quand elles s’estiment lésées par des politiques publiques. Ouvert aux seuls investisseurs internationaux, ce dispositif onéreux rompt l’égalité des entreprises devant la loi et découragerait l’adoption future de règles pour la stabilité financière, la création culturelle ou le climat.
Asymétrie inquiétante
Sur le numérique, vecteur clé de transformation et de croissance de l’ensemble de notre tissu économique, mais aussi de mutations sociales et politiques, une asymétrie inquiétante demeure entre les négociateurs américains, déterminés à en faire un facteur de puissance, et l’UE où la définition d’une stratégie globale est toujours en cours.
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Favorables à la promotion des échanges, nous ne sommes pas prêts à brader le modèle européen pour la promesse incertaine d’un maigre surcroît de croissance. Ce n’est pas la peur mais l’ambition qui guide notre démarche.
Priorité doit être donnée au développement du tissu économique local, essentiel pour l’emploi, avec l’adoption d’un équivalent du « small business act » [américain] pour réserver aux PME une partie des marchés publics. L’accélération des bouleversements de nos économies impose de conserver notre capacité à développer des modèles alternatifs et de redéfinir une politique commerciale à la hauteur des défis du XXIe siècle.
Les auteurs membres du collectif : Benoît Thieulin, entrepreneur et doyen à Sciences Po ; Fabienne Delahaye, commissaire générale de MIF Expo ; Jean-Hugues Chezlemas, directeur de CES + ; Luc Delahaie de Chantier naval du Grand Val ; Laurence Ruffin, PDG d’Alma ; Thomas Huriez, fondateur de 1083 ; Anthony Gratacos, président de la SAS Gratacos ; Matthieu Urban, cofondateur de Myfood ; Rémi Roux, cofondateur d’Ethiquable ; Arlette Rohmer, fondatrice des Jardins de Gaïa ; Mathieu Grosset, directeur général de Juratri ; Arnaud Lelache, PDG de l’Agence française informatique