—Par Roland Sabra —
Mise en scène de Yoshvani Médina
Ulises Cala est un dramaturge des mélanges. Dans sa dernière pièce, mise en scène par Yoshvani Medina, traduite par Pierre Pinalie sous l’intitulé « Quelques histoires d’amour très très tristes » ou « Tristissimes », c’est comme on veut, il fait montre d’un talent pour re-visiter de façon iconoclaste quelques uns des mythes fondateurs de l’Occident, qu’il s’agisse de l’épopée troyenne, des fables bibliques ou des contes de belles endormies au fond des bois, et il le fait en choisissant comme méthode d’exposition la structure du théâtre Nô dans laquelle les pièces sont classées en cinq groupes. Le premier , Waki Nô, est celui consacré aux dieux et aux rapports compliqués qu’ils entretiennent avec les hommes, ici une femme implore le retour à la vie de son amant. Le second, Shura Mono, évoque les fantômes de grands guerriers morts durant la bataille et qui sont en enfer. Presque toujours ils appartiennent au camp des vaincus. Andromaque peut-elle tomber en amour devant celui qu’elle a vu assassiner Hector? Le troisième, Katsura Mono, est le plus prisé il y est question de très belles femmes. Dans Tristissimes ,entorse au protocole, c’est Erostrate acteur de seconde zone qui rêve du haut de l’affiche. Le quatrième groupe, Kyôjo Mono, est celui des femmes folles qui suscitent les moments les plus intensément dramatiques. Une prisonnière des arbres attend sa délivrance d’un prince charmant, hélas le libérateur est un quidam, un pèlerin. La liberté est parfois plus cruelle que son désir. Le dernier groupe , Kichiku Mono, est celui des démons, bons ou mauvais qui finissent toujours terrassés par leur humanité. Job sur « son fumier » interroge, Dieu ou les hommes c’est du pareil au même, sur le mal, son origine et sa dernière frontière.
Le texte est rugueux, abrupt, dérangeant, d’une belle force évocatoire, mêlant les références bibliques, antiques et populaires même si quelques « putes » un peu trop insistantes n’ajoutent rien au vieux métier et fatiguent un peu les … oreilles.
Pour de tels affrontements il ne faut qu’une arène, ce que dessinent les chaises autour de la piste du circus de ces guerres ancestrales au cours desquelles le sang, le sperme et la haine, la proie, la blessure et son venin l’amour, gueulent, murmurent et gémissent dans les vomissures nourricières, terreau des fleurs les plus sublimes au gisant des copeaux nécessaires à l’émergence en creux, de l’inaudible, de l’inouï : la vie, fragile entêtée voire teigneuse.
Les lumières sont celles que génèrent les petites torches électriques qu’il faut recharger en cours de spectacle et qui sont distribuées à l’entrée de la salle. Le procédé intéressant, en ce qu’il rappelle le spectateur à sa position de voyeur et de producteur de ce à quoi il assiste, trouve vite ses limites d’une part du fait du nombre réduit de places et donc de lampes offertes à chaque représentation et d’autre part d’une certaine lassitude qui gagne le public. Un léger éclairage d’appoint ne serait pas tout à fait inutile.
Dans ce genre de prestation, plus que jamais le succès de l’opération repose sur les épaules des comédiens. Ils sont quatre pour ce ballet de vies et de morts entrecroisées qui sollicite intensément le corps (cadavre et corporation en latin). De ce théâtre très physique, Marie Laure, Ricardo Miranda et Bruno Khalo tirent bien leur épingle du jeu. Dommage que ce dernier se livre à des liaisons dangereuses, des je veux-T-être qui rendent inaudible le propos qu’il tient. Propos dont on se demande parfois s ‘il en mesure toute la portée tant l’univocité du ton qu’il emploie semble être le signe d’un manque de travail sur le sens du texte. (sans contrepèterie). Et il n’est hélas pas le seul sur scène dans cette errance. Mais à qui s’en prendre? C’est d’autant plus regrettable que ce garçon est plein de virtualités juvéniles qui faute d’être actualisées pourraient virer à de vieilles manies. Ricardo Miranda, si peu convaincant en Tybalt, c’est un euphémisme, est complètement transformé, son jeu à suivi la ligne d’épure de ses métamorphoses corporelles et pour peu que son phrasé suive cette pente la réussite s’accomplira. Marie Laure sur un registre terrien et halluciné soutient la réplique au niveau exigé par ce théâtre corporel, charnel mais somme toute très masculin. L’ensemble, dont il faut éliminer quelques scories comme ce penchant un peu puéril à prendre le public à partie, gagnerait d’autant plus à être resserré, davantage rythmé en utilisant des tessitures de voix plus larges, retravaillé surtout à la table qu’il est riche d’étonnantes possibilités.
C’est un secret de polichinelle, « Tristissimes » se joue sans publicité, devant un parterre réduit, l’information se faisant par bouches et oreilles. Le spectacle ne compte que sur ses « seules » « propres forces » pour exister. On retrouve là toutes les contradictions de Yoshvani Médina : comment faire du théâtre un art populaire et non pas réservé aux sinistres « happy few » eux qui étalonnent leur prestige à l’aune de la date à laquelle ils ont vu Tristissimes? Mais par ailleurs l’idée d’un théâtre soutenu par son public est une riche idée de même que celle qui consiste à permettre à des comédiens de jouer une trentaine de fois à la suite alors que la moyenne nationale en Martinique est de trois quatre représentations avec les conséquences que l’on sait et que l’on ne manque pas de dénoncer sous cette plume. La Martinique a besoin d’une salle de petite jauge pour qu’un spectacle s’installe dans la durée, qu’il puisse s’affirmer et grandir, que les comédiens trouvent leurs marques. Les travaux de Yoshvani Médina ont un côté poil à gratter, irritants par ce qu’ils révèlent de potentialités laissées en friche, mais suffisamment dérangeants et surtout novateurs pour aller les voir; ce que fait d’ailleurs le public fidèle et rajeuni qu’ils ont su générer depuis une dizaine d’années.
« Tristissimes » ou « Quelques histoires d’amour très très tristes »:
Représentations en fin de semaine.
Réservations: 0696 94 56 48 / tristissimes@yahoo.fr
Texte original Ulises CALA traduit de l’espagnol par Pierre Pinalie.
Mise en scène : Yoshvani Médina
Scénographie, costumes et identité graphique : Ludwin Lopez
Avec :
Virginie Coumont
Bruno Khalo
Ricardo Miranda
Marie Laure
27*05*2006