Quel est l’intérêt pour les antisémites d’assimiler le peuple juif au sionisme?
—Par Jean-Paul Gautier, historien, spécialiste des extrêmes droites, coauteur de la Galaxie Dieudonné : pour en finir avec les impostures (Éditions Syllepse, 2011).—
« Derrière la forme apparemment politiquement correcte d’un antisionisme qui se veut fédérateur, Dieudonné développe, en fait, un antisémitisme de plus en plus marqué et virulent (les dernières attaques contre Patrick Cohen). La thématique antisioniste lui permet d’éviter les foudres de la justice qui, c’est bien connu, «est aux mains des juifs». Le monde tel qu’il le voit est un monde sur lequel les juifs règnent en maîtres sur la pensée et le discours. Un monde aux mains du « puissant lobby des youpins sionistes » (AFP, 4 juin 2009). Ainsi, il a accusé François Hollande lors de sa récente visite en Israël de «s’être prosterné devant ses maîtres».
Tour de passe-passe
Ce complot juif (remake du Protocole des sages de Sion) se décline dans toutes les sphères : politique, économique, financière, artistique et médiatique. C’est ainsi qu’en 1954-1955, quand Pierre Mendès France était président du Conseil, Aspects de la France (journal maurrassien) titrait : «Gare à la dictature juive». C’est une grille de lecture selon laquelle tout non-juif est victime du «totalitarisme juif» et qui fait de l’antisémitisme, un système d’explication universel. Charles Maurras écrivait dans l’Action française du 28 mars 1911: «Tout paraît impossible ou affreusement difficile sans cette providence de l’antisémitisme. Si l’on n’était pas antisémite par volonté patriotique, on le deviendrait par simple sentiment d’opportunité.» Il faut donc, pour reprendre les termes d’Urbain Gohier (la Terreur juive, 1905), se donner les moyens pratiques de parvenir à «l’anéantissement de la puissance juive en France», ou suivre Jules Soury lorsqu’il écrivait, dans son ouvrage Une campagne nationaliste (1899-1901), que l’antisémitisme est «une réaction naturelle d’autodéfense».
Par un tour de passe-passe dont il est coutumier, Dieudonné assimile le peuple juif au sionisme, ce qui lui permet donc de développer une thématique antisémite, tout en dénonçant «un chantage systématique à l’antisémitisme», sans oublier les contacts avec le chef de fil des négationnistes, Robert Faurisson. Dieudonné puise allègrement dans le vocabulaire antisémite des années 1930-1940, présent dans des journaux comme Je suis partout, de Robert Brasillach, et sous la plume d’auteurs comme Céline et Lucien Rebatet.
A la croisée des deux courants
Dieudonné se situe à la croisée de deux courants de l’antisémitisme. L’un, à gauche, apparu au XIXe siècle avec Charles Fourier, Pierre-Joseph Proudhon, Alphonse Toussenel, Auguste Chirac, pour qui le juif représente l’exploiteur, le riche, le possédant. L’autre, d’extrême droite, avec Édouard Drumont, auteur de la France juive (1896), ou de Charles Maurras, dirigeant de l’Action française. Il s’inspire également de revues, de groupuscules d’extrême droite apparus en France sous la IVe et la Ve République : Défense de l’Occident, avec Maurice Bardèche et François Duprat ; l’hebdomadaire Rivarol ; Pierre Sidos et l’Œuvre française, Frédéric Chatillon (ex-GUD), Christian Bouchet (nationaliste révolutionnaire), Serge Ayoub (ex-JNR) ou Alain Soral.
P. Sidos ne reconnaît pas l’existence d’Israël ; F. Duprat considérait qu’Israël « est un oiseau de proie au Moyen-Orient » ; quant à Benoît Fleury, ancien dirigeant du GUD, il déclarait en 1999: «L’ennemi aujourd’hui en France, c’est la même chose qu’en Palestine. On est contre l’occupation sioniste avec un côté antisémite qu’il faut appliquer partout où les juifs peuvent être présents.» Quand Dieudonné affirme que la quenelle est un geste d’insoumission au système, il ne faut pas oublier que, pour lui, le système est contrôlé par les juifs. Dieudonné est donc bel et bien un fil spirituel d’Édouard Drumont.
Jean-Paul Gautier
http://www.humanite.fr/tribunes/tribune-l-heritage-antisemite-de-dieudonne-557300