— Par Roland Sabra —
« Dans les Antilles, le théâtre peut être considéré comme le dernier genre à naître » écrit Bridget Jones dans « Comment identifier une pièce de théâtre de la Caraïbe. » On distingue généralement deux branches. La première s’inspire de grande figure de l’histoire nègre, africaine ou antillaise. La seconde est d’une veine plutôt comique qui puise dans la vie quotidienne et qui ne dédaigne pas les procédés du boulevard. Tribunal Femmes bafouées qui emprunte au trio classique et comique du mari de la femme et de la maîtresse sans être une bouffonnade tire volontairement du côté de la farce. L’homme à femmes, ce chasseur impénitent, ce séducteur incapable d’aimer, ce collectionneur mutilé donc le cœur est dans la braguette, qui n’est sur la scène sociale que le représentant d’une virilité qui n’est pas la sienne mais celle d’une figure maternelle toute puissante, cette figure lamentable, puérile d’un certain type d’homme est dans la pièce écrite par Tony Delsham l’objet d’une moquerie et d’un assaut de lazzis haut en couleurs. C’est un théâtre populaire au sens noble du terme. On retrouve des ambiances d’un autre temps que le public empesé, engoncé embourgeoisé, du théâtre classique ne connaît plus. Le spectacle est autant sur la scène que dans la salle qui intervient, commente, apostrophe, agresse le personnage, interrompt le comédien, le contraignant à s’arrêter, à rappeler qu’il s’agit de théâtre. Le spectacle est une sorte d’exorcisme collectif ponctué d’éclats de rires. Le public, très féminin ce soir là vit la pièce de l’intérieur. Les lèvres murmurent, énoncent quelques vérités bien senties, éructent quelques qualificatifs bien verts. Les visages s’assurent de connivences, de complicité, de soutiens dans des sourires sous entendus et/ou des rires à gorges déployées. Il y a du plaisir et même du bonheur à être là ensemble, à voir re-présenter des situations de femmes bafouées, humiliées par des hommes bouffons. Il y a là dans la salle comme une atmosphère de revanche. Mais celle-ci n’est jamais méchante toujours bonne enfant. Ce théâtre amène un public qui d’habitude reste aux portes des monuments que sont pour lui le TAC ou le Tropiques-Atrium. Au TOM de la Croix Mission les places étaient à 10 euros de deux à trois fois moins chères que les tarifs usuels.
La pièce est inégale dans son déroulé. Vive et plaisante au début elle verse dans un pathos un peu lourd avec le récit à charge pour l’accusé d’un accouchement sous césarienne de son épouse. Les comédiens font du mieux qu’ils peuvent, à mille lieux de toute psychologie inutile. Ils en font des tonnes s’époumonant à crier, voire à hurler pour l’une d’entre eux. Mais on s’en moque. On n’est pas là pour faire de la dentelle. On est là pour dénoncer une situation sociale d’irresponsabilité un peu trop générale. On a du plaisir à y être et à le faire. On n’est pas là pour prendre le thé on est là pour bouffer un gentil salopard.
Ce théâtre à le droit de cité. Il est constitutif d’un vivre ensemble. José Alpha en labourant ce champ participe à la construction du lien social. Il y a donc une urgence à lui donner les moyens de son travail, ne serait-ce que lui permettre de faire revivre ce lieu chargé d’histoire qu’est le Téat Otonom Mawon ( TOM) parfaitement adapté de par la configuration des lieux à un théâtre de proximité. Il n’y a pas de grand et de petit théâtre. Il y a du bon et du mauvais théâtre. Tribunal Femmes bafouées loin de toute égotisation, de toute infatuation, étranger à tous les boniments bien pensants appartient de plain-pied au théatre créole et il est constitutif de nos identités, de toutes nos identités singulières et plurielles.
Fort-de-France, le 20-03-2016
R.S.
Tribunal des femmes bafouées
de Tony Delsham, adapté et mis en scène pour la Comédie Créole par José Alpha assisté de Yva Gaubron et Peggy Fargues
avec Béatrice Sieurac, Eric Bonnegrace et Cristèle Calixte