— Par Marie Gauthier —
De ces îles qui parsèment les mers et les océans, Gilles Deleuze1 distingue les continentales, nées d’une fracture, d’une séparation du continent, et les océaniques surgies des fonds marins. Deux types d’îles, de pensées et de regards. Les premières, accidentelles, les secondes, originaires. Ces dernières émergent à la surface dans un surgissement géologique qui signale la permanente évolution de la Terre dans les profondeurs sous-marines. Ce qui est sous la surface visible est vivant. L’île, plus mythique que géographique, nous mène à penser l’île créatrice, matricielle. Saint-John Perse évoque l’image d’une « mer utérine de nos songes… »2. Rêver des îles, c’est imaginer un départ vers un ailleurs, inattendu, libre, nu, pour renaître à soi. L’île est le signe idéal de la solitude ontologique, une dimension largement explorée par Patrick Chamoiseau dans L’empreinte à Crusoé3, dont le récit participe de la poétique insulaire.
Aujourd’hui, l’archipel est plutôt défini comme un groupe d’îles, des terres discontinues au milieu de la mer. Pourtant, par son étymologie (pelagos, haute mer), le grec le décrit comme « une mer parsemée d’îles ». Princeps, la mer suppose les liens secrets de l’en-dessous marin. « L’unité est sous-marine », écrivent les poètes caribéens anglicistes. Saint-John Perse ne connaît qu’îles et entr’îles, et nomme poétiquement les soubassements marins « la table des eaux » ou encore « la chaussée océane »4. Cette conception de l’unité sous-marine, et non seulement de surface, donne une identité caribéenne. « Les Caraïbes naviguaient sans cesse d’île en île, de rivage en rivage au gré de leurs fêtes, de leurs alliances… la mer liait et reliait. » 5. Il n’y avait pas de frontières absolues, circonscrites. À l’inverse de l’isolement et du repli, Édouard Glissant parle, non d’un agrégat de morceaux de terre isolés, mais d’un réseau. « La mer à jamais inséparable 6 » incarne le tissu historique qui lie les Antilles entre elles.
Tribulations archipéliques invite à découvrir les démarches singulières d’artistes qui ont en partage l’île de Martinique. Engagés dans ce thème et les enjeux de la vie insulaire, ils déploient leurs interrogations poétiques sous des angles variés, mais tous liés au réel et à l’imaginaire de l’île : la fragilité de son équilibre écologique, économique, social, l’affirmation de sa culture vivante et de son identité plurielle.
Tribulations archipéliques est une exposition métaphorique où toutes les œuvres, à la fois séparées et rassemblées en un même lieu, l’Atrium, représentent chacune une île de cet archipel. Elle symbolise les expressions du divers et affirme la nécessité de l’extension du lien social pour un avenir meilleur des valeurs humanistes.
Marie Gauthier
Juin 2018
1. Gilles Deleuze, L’île déserte, éditions de Minuit, Paris, 2002.
2. Saint-John Perse, Amers, 1957
3. Patrick Chamoiseau, L’empreinte à Crusoé, Gallimard, Paris, 2012.
4. Saint John Perse, Vents, 1946
5. Patrick Chamoiseau, Chanter l’île, Nouvel Obs, n° hors-série intitulé : la Route des îles 1993
6. Saint John Perse, Vents, 1946
Autres sources :
-May Chehab, « Poétiques archipéliques : Saint-John Perse et Édouard glissant », transtext(e)s transcultures, Université de Chypre. 2008
-Adrien Guyot, L’Amérique, un ailleurs partagé, Université d’Alberta, thèse de doctorat en philosophie
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Infos pratiques :
Programme :
– Vernissage after work lundi 8 octobre de 17h à 21h
– exposition visible Galerie La Véranda, du mardi au vendredi de 13h à 18h. Le samedi de 10h à 13h, ou sur rdv.
– Visites commentées samedi 13 et 20 octobre après midi, de 14h30 à 16h30 .
– Conférence – Table Ronde : samedi 3 novembre de 10h à midi Salle la Case à Vents de Tropiques Atrium sur le thème de l’île et de la pensée archipélique.
Les artistes :
•Les artistes invités : Hervé Beuze, Fabienne Cabord, Marie Gauthier, Iskias, David Né,
•Les artistes du PABE : Elisabeth Alexandrine, Michèle Arretche,
Catherine Bland, Suzy Bland, Nadia Burner, Daouïa, Anick Ebion,
Karin Eliasch, Sylviane Fédronic, Garance Vennat-Ragot & Isabelle Pin,
Monique Hardy, Nicole Hugon-Nouel, Françoise Levy, Marie-José Ravoteur,
Colette Wild, Sandrine Zedame & Carl Beyer.
– Scénographie : Yvana Vaïtilingon.
L’Association PABE :
Groupe mixte, à forte composante féminine, lié par un amour puissant pour la Martinique, sa culture, ses couleurs, les signes marques qui font la spécificité de cette île, le Plastik Art Band Expérimental est né en 2007 du besoin de raconter de façon originale cette terre à travers les arts plastiques.