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Importés d’Europe de l’Est et du Sud, sous le statut du détachement, 150 000 travailleurs, au bas mot, triment en France dans des conditions relevant souvent de l’esclavage moderne. Reportage sur le chantier d’Iter, financé par le CEA, en Provence, et dossier.
Manosque, Cadarache (Alpes-de-Haute-Provence), envoyé spécial. Tels des marins perdus lançant un ultime SOS, huit ouvriers portugais sont venus, en mai dernier, frapper à la porte de « la CGT » à Manosque. Embauchés à Lisbonne par la boîte d’intérim Travel Works Trabalho Temporario, ils avaient été transportés vers la France dans une fourgonnette, nourris sur le chantier avec un morceau de pain et un concombre, entassés, pour 25 euros par jour et par personne, dans un appartement loué par leur patron, la société SAMT, sous-traitante de Razel, filiale du groupe du BTP Fayat. Ces salariés en CDD de six mois n’avaient touché, pour deux mois de travail, que 150 euros ! « C’était de l’esclavage », s’indigne Christian Ribaud, qui était alors le secrétaire général adjoint de l’UL CGT de Cadarache. Un syndicaliste, aujourd’hui retraité d’Areva, d’autant plus choqué par cette histoire que le chantier de construction sur lequel trimaient ces intérimaires était celui du réacteur Jules-Horowitz (RJH) nouveau fleuron de la recherche, financé par le prestigieux Commissariat à l’énergie atomique (CEA). Jouxtant ce chantier, a commencé, depuis 2007, celui d’International Thermonuclear Experimental Reactor (Iter), projet faramineux de maîtrise de la fusion nucléaire associant financièrement l’Europe à six autres grandes puissances scientifiques.
En 2010, alors que les travaux de déforestation et de terrassement pour créer une plate-forme de 400 hectares allaient bon train, la CGT s’était inquiétée des conditions de travail sur ce chantier international hors norme. Mais, à l’époque, les effectifs étaient réduits à quelques dizaines de Polonais. Au plus fort des travaux, en 2014 et 2015, le nombre de salariés pourrait atteindre 4 000. Parmi eux… aucun travailleur français, si l’on se réfère aux petites annonces, axées sur le tourisme, diffusées par Pôle emploi de Manosque, où sont pourtant inscrits 3 764 chômeurs… Ce qui fait dire à Alain Archambaud, élu CGT au CEA de Cadarache, qu’en matière de dumping social, « Iter risque d’être un RJH à la puissance 15 ! ».
À travail précaire, logement précaire
Car au pays où Giono a situé son Hussard sur le toit, une sorte de choléra antisocial risque de se répandre. Nom de code du virus : directive 96/71. Il frappe, en France, tous les travailleurs détachés recrutés dans les autres pays de l’Union (lire pages 3 et 4). Rôde-t-il déjà dans les chantiers en cours comme celui de l’usine d’assemblage des bobines de supraconducteurs ou celui de l’alimentation électrique ? Difficile à savoir car les élus du CHSCT du CEA ne peuvent y mettre les pieds. Comme l’explique Alain Archambaud, « alors que nous avions demandé le label grand chantier, le projet Iter se réalisera par une quarantaine de petits chantiers, clos et indépendants, dont les premiers ont été confiés à des entreprises du BTP qui ont toutes des filiales dans les pays de l’Est. Les premiers bureaux ont été construits par des Polonais et des Russes ». Des ouvriers logés on ne sait où et soupçonnés de venir prendre des douches dans les vestiaires d’un club de tennis!
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http://www.humanite.fr/social-eco/dans-la-spirale-sans-fin-du-dumping-social-511542