— par Selim Lander. Les vendredis se suivent à l’Atrium et ne se ressemblent pas. Salle à peu près vide le 8 novembre 2024 pour entendre Étienne Minoungou dans un texte de Felwine Sarr ; salle comble le 15 pour voir Aurélie Dalmat dans la pièce de François Raffenaud.
Traces – Discours aux nations africaines
Felwine Sarr est un intellectuel sénégalais de haute volée, agrégé de sciences économiques à la fois par le concours français et par le concours africain (CAMES), enseignant désormais à l’Université Duke (Durham, North Carolina), musulman revendiqué, partisan inconditionnel de la restitution aux pays africains des œuvres de leur patrimoine (co-auteur du rapport remis à Emmanuel Macron en 2018), fondateur à Dakar des « Ateliers de la pensée » avec Achille Mbembe. Sa parole pèse et mérite – ne serait-ce qu’à ce titre-là – d’être entendue. Dans Traces, il porte un message universel même s’il s’adresse en priorité aux Africains. Il faut, écrit-il, « pousser l’humanité plus loin, repousser l’horizon de la lumière, désensabler l’eau vive » et, certes, qui ne souscrirait pas à un si beau programme.
De là à faire théâtre… Il est toujours délicat de porter un simple discours, quel qu’il soit, sur la scène. C’est un peu plus facile quand il est polémique mais il n’y a rien dans Traces qui puisse susciter autre chose que l’approbation. Étienne Minoungou qui ne cherche pas à créer des effets de surprise là où il ne saurait y en avoir, se présente vêtu du boubou de circonstance face à un pupitre auquel il se réfère de temps à autres, même s’il connaît son texte à peu près par cœur, tel un pasteur en chaire. Cette impression est confirmée par sa diction – alternant la force et la douceur – comme par ses effets de manche, l’accompagnement musical de Simon Winsé et les chants. Le tout confortant l’ambiance des sermons des pasteurs évangéliques américains. Les spectateurs présents se sont montrés convaincus, mais qui ne l’aurait pas été ?
S’il est vrai que la comédienne est une star locale, cela ne suffit pas tout à fait pour expliquer l’engouement soulevé par Un Petit Déjeuner, inspiré de Before Breakfast d’O’Neill, mais spécialement écrit pour Aurélie Dalmat qu’on ne présente plus à la Martinique. Il s’agit aujourd’hui d’un deuxième reprise après la création en 2008 et une première reprise en 2014. Autant dire que la comédienne est en possession de son personnage. Roland Sabra (1) a dit tout ce qu’il fallait dire de son jeu dans un article suivant la reprise de 2014, comme du fond féministe du texte. Comme dans toutes les pièces de ce genre – comédie dramatique pour un seul comédien (comédienne dans le cas présent) – le spectateur est amené à entrer progressivement dans l’intimité du personnage grâce à des annonces qui seront complétées par la suite, avec souvent une fin paroxystique. Il y a nécessairement des adresses au public et en plus, ici, des adresses au mari qu’on ne verra jamais puisqu’il se garde de sortir de sa chambre.
Il faut dire quelques mots du décor, très efficace dans sa grande simplicité. Au sol des bandes blanches délimitent l’espace de jeu, i.e. la pièce – salle à manger – où se déroule l’action. Au fond, une première porte donne sur la cuisine d’où sortiront les tasses, cafetière, etc. nécessaires pour un petit déjeuner. Devant, une table dressée avec quelques objets précieux, vestiges de la grandeur passée de la famille. À cour, une fenêtre munie de persiennes pour faire entrer la lumière du soleil. À jardin, enfin, la porte donnant sur la chambre.
S’il n’y a pas lieu de revenir ici sur le thème de la pièce, ni sur le jeu, déjà largement commentés sur madinin-art, disons simplement qu’elle atteint bien son climax à la fin, lorsque Marie-Juliette/Aurélie Dalmat se déchaîne littéralement contre son mari, lequel n’avait pour lui que d’appartenir à une famille de békés (désormais ruinée), un raté, un « pé-pa » : beau morceau de bravoure dans lequel la comédienne donne toute sa mesure.
(1) https://www.madinin-art.net/un-petit-dejeuner-aurelie-dalmat-en-representation/