— Par Benoît Jourdain —
Du bleu et jaune pour les comédies, des héros accompagnés par leurs amis devant une explosion pour les films d’action… Les affiches de cinéma ont souvent un air de déjà-vu et ce n’est pas qu’une question de paresse comme le pense Vincent Cassel.
Vincent Cassel, en costume, regard d’acier, plonge ses yeux dans les vôtres, arme à la main. A ses côtés, une multitude d’acteurs détourés, parmi lesquels on reconnaît Fabrice Luchini ou Olga Kurylenko. Par un habile fondu, on devine Notre-Dame de Paris, et un duel entre deux hommes. Plus bas, un titre en lettres dorées : L’Empereur de Paris. La star française joue Vidocq dans ce film réalisé par Jean-François Richet qui sort mercredi 19 décembre. Une affiche que vous avez sûrement déjà vue sur un bus, une colonne Morris, ou dans vos cinémas.
Elle vous semble familière ? Normal, elle reprend les codes des films « en costume », pointe Quentin Durand, alias le stagiaire des affiches, sur son site, où il s’amuse à se moquer de ces supports. Ironie de l’histoire, jeudi 15 novembre, Vincent Cassel lui-même dénonçait sur Instagram (le post a été supprimé depuis), par un montage réunissant plusieurs affiches de comédies, « le formatage, le manque d’invention, la flemme et le nivellement par le bas des distributeurs ».
Les distributeurs ont-ils vraiment « la flemme » de proposer des affiches différentes ? Les acteurs du secteur contactés, qui pour la plupart préfèrent rester anonymes, apportent des éléments de réponse.
« C’est une carte d’identité »
Pour comprendre ce phénomène, il faut se pencher sur le rôle du producteur, sans qui un film ne peut exister. Une fois le tournage terminé, il devient le maître des opérations et prépare la sortie. « Il a un rôle marketing, il est celui qui va mettre le film sur le marché », détaille un ancien distributeur, devenu producteur. Le distributeur pense, à l’aide de son service marketing, la bande-annonce, la promotion, l’affiche, et doit faire en sorte que le film rencontre son public.
« Pour créer la notoriété d’un film, l’affiche est essentielle, assure cet ancien distributeur. Les gens vont la voir dans la rue, dans le métro ou dans leur salle de cinéma. » Sa règle d’or ? « Elle doit être visible à tout prix et doit attirer les regards », précise-t-il. Sans oublier qu’elle doit envoyer le bon message, « pour que les bonnes personnes voient le bon film », ajoute David Honnorat, cofondateur de Vodkaster et auteur de l’ouvrage Movieland. « C’est une carte d’identité du long-métrage », résume un directeur d’une grande société de distribution française contacté par franceinfo.
Si elle est pensée par le distributeur et son équipe marketing, l’affiche d’un film est conçue par un graphiste, qui se base sur un cahier des charges précis et des photos prises sur le tournage ou sur des images extraites du long-métrage. « Souvent, le distributeur a déjà une idée de ce qu’il veut », indique un graphiste expérimenté. La marge de création est donc réduite, ce qui ne le choque pas. « Je n’ai pas de prétention artistique, l’affiche doit avant tout être le support du film », lance-t-il. Un avis corroboré par David Honnorat.
Juger l’esthétique d’une affiche n’a pas de sens. Elle ne doit pas être belle, elle doit faire venir le spectateur. C’est un élément marketing, comme une publicité.David Honnorat, auteur du livre « Movieland »à franceinfo
Dans un univers hyper concurrentiel, où plus de 300 films sont proposés chaque année aux spectateurs, la prise de risque est limitée. « Huit films sur dix se plantent », assure un graphiste travaillant pour une grande agence artistique parisienne. Du coup, les distributeurs n’ont plus qu’un seul mot en tête : rassurer le public. « Notre marge de manœuvre n’est pas forcément réduite au départ, indique le graphiste, fort de dix ans de métier. Mais il faut rassurer pour que les gens comprennent ce qu’ils vont voir. » Et ce n’est pas forcément une marque de mépris envers les spectateurs, assure le directeur de la distribution contacté.
Ce principe est vieux comme le cinéma, résume Christophe Courtois, distributeur chez SND, qui tient un blog sur le sujet. « La communication cinématographique a toujours été standardisée, écrit-il dans un post datant de 2014. (…) L’industrie du cinéma étant une industrie de films prototypes uniques, la codification de sa communication répond tout simplement à cet objectif. Suggérer on ne peut plus clairement de quels autres films plus anciens, de quel genre, de quelle famille ce ‘nouvel objet cinématographique’ se rapproche. Depuis un siècle. »…
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