— Communiqué du CNCP —
« Tout pèp-la sanblé, nou ké fè an Péyi-nèf ». La première fois que nous avons scandé ce mot d’ordre dans une grande manifestation, c’était à l’occasion d’un défilé du Premier Mai organisé en 1982 qui avait regroupé plus de 2500 personnes en tee-shirt rouge au Robert. Cette mobilisation avait été possible parce que des dirigeants issus du peuple avaient émergé au cours de la grande grève de janvier -février 1974, qui, rappelons-le, avait permis une amélioration spectaculaire des conditions de vie des Ouvriers Agricoles. Ces dirigeants s’étaient aguerris pendant plusieurs années de formation et en construisant, sur de nouvelles bases politiques, des organisations solides telle que l’UGTM. Après les mouvements sociaux qui s’étaient succédé dans les années 70 et pendant les 40 ans qui ont suivi, de nombreuses initiatives ont convergé visant à promouvoir notre langue créole, le bèlè, le fait syndical Martiniquais, le respect de nos racines et de notre identité. Tout cela a contribué à renforcer le niveau de la conscience nationale et la volonté d’émancipation de notre Peuple.
Eh bien ! Nous déployons cette banderole à l’occasion de la rencontre de ce soir, parce que notre organisation est convaincue que l’union de notre Peuple est la condition la plus essentielle pour sauver notre pays dans ce moment de crise majeure qu’il traverse. Nous l’avons fait aussi parce que nous croyons profondément que notre Peuple peut et doit porter sa contribution à l’avancée de l’humanité, dans un contexte où c’est l’ensemble du monde qui est secoué par une tempête d’une violence inouïe.
-Nous dénonçons la vie chère chez nous, et cela à juste titre, mais quel coin du globe ne la subit pas ? -La société est gangrenée par des trafiquants de drogue qui détruisent notre jeunesse, la corruption est dénoncée, les élus sont discrédités. Quel pays n’est pas confronté à ces réalités là? -Dans quel pays les travailleurs ne sont-ils pas victime du chômage, des licenciements, barbarie qu’on cache aujourd’hui derrière l’expression hypocrite de «plans sociaux» ? -N’est-ce pas sur toute la surface de la planète que les petits agriculteurs crient leur détresse, que dans tous les secteurs économique, les petites entreprises font faillites, écrasées par les charges et la concurrence déloyale des multinationales?
Quel économiste, sociologue, statisticien, éditorialiste ou autre prétendu «sachant» nous explique pourquoi ce désordre est-il si universel! Nous n’avons droit qu’à un blablabla diffusant la bienpensance et les pseudo-vérités des prédateurs qui tirent profit de la situation. C’est donc à nous-mêmes de répondre aux questions fondamentales qui se posent et qui sont les suivantes :
1) Qu’est-ce qui explique que la situation soit si catastrophique tant dans notre pays qu’au
niveau mondial ?
2) Existe-t-il un moyen d’empêcher cette débâcle et de construire un monde meilleur?
Malheureusement, n’ayant pas de réponse aux questions qui se posent dans la société, beaucoup de gens restent prisonniers de réactions émotionnelles ou se contentent de porter des réponses relevant uniquement du jugement moral. Prenons l’exemple des barrages qui ont accompagné la crise sociale que nous vivons aujourd’hui : Qui d’entre nous ne se sent pas personnellement agressé quand il est contraint de faire un périlleux gymkhana pour renter chez lui la nuit? Doit-on
s’étonner que la majorité réprouve le fait que des gens sont rackettés, des arbres abattus, des poteaux électriques qui servent à éclairer des quartiers populaires sciés ?
Rester « prisonniers de réactions émotionnelles » ou se contenter de « porter des réponses relevant uniquement du jugement moral », c’est, d’un côté, appeler les autorités à « mettre tous les voyous responsables hors d’état de nuire » et, de l’autre, traiter « d’égoïstes » ou de « réactionnaires » tous ceux qui expriment leur colère ou leur légitime incompréhension. La conséquence de ces postures subjectives est l’accentuation des divisions au sein de notre Peuple. Ce qui est sur, en tout cas, c’est que, tant que nous n’analyserons pas les racines du mal pour y porter des réponses raisonnées et adéquates, il y aura encore et toujours des barrages et ceux-ci seront de plus en plus violents. Cela d’autant plus qu’ils sont du pain béni pour le pouvoir colonial qui en prend prétexte pour intensifier la répression policière et judiciaire contre les militants, diviser notre Peuple et détourner l’attention de la cause défendue. N’oublions pas, par ailleurs, que des provocateurs sont payés par des forces obscures «pou sali dlo-a» !
A quoi d’autre pourrions-nous nous attendre quand la société jette dans l’errance la majorité de notre jeunesse ? : Un système éducatif malmené ! un contenu d’enseignement déstructurant ! des médias déshumanisants ! Un ascenseur social bloqué : quand certains, franchissant les obstacles, malgré tout, obtiennent des diplômes, ils se retrouvent au chômage ou dans des emplois sous-qualifiés, ou encore quand ils osent entreprendre, ils sont écrasés par les manoeuvres déloyales de la caste béké dominante. Alors, il y en a qui se suicident, il y en a qui sombrent dans les toxicomanie et la délinquance encouragés en cela par l’exemple venant d’en haut. On sait combien de ministres, de présidents et autres grands chefs d’entreprises sont compromis. Et puis il y en a qui expriment leur rage et leur détresse sur les barrages ! Autrement dit, si nous voulons changer valablement la situation, nous devons nous engager collectivement pour prendre la main, travailler à offrir des perspectives à notre jeunesse, lui parler, lui faire comprendre avec bienveillance que c’est le système qui la pousse à se détruire elle-même.
Cela nous amène à parler des conditions de notre engagement.
Dans le bokantaj organisé par nos camarades samedi dernier à Fonds Lahaye, une participante a posé la question suivante : « Pourquoi les gens ne se mobilisent-ils pas plus massivement pour combattre la vie chère? » La réponse qui lui a été portée vaut pour toutes les causes que nous avons à défendre. L’idéal serait, en effet, que notre Peuple se mobilise en masse face au sabotage des services publics de santé et d’éducation, face au refus de justice et de Réparation pour le crime d’empoisonnement aux pesticides, face aux impôts abusifs, face au vol de nos terres, face à l’arrogance des expatriés suprémacistes, et face aux mille autres injustices quotidiennes que nous subissons. En tant que militant, je peux témoigner que dans la quasi-totalité des manifestations auxquelles j’ai participé, j’ai pu entendre des participants se plaindre de l’absence du peuple et critiquer son inconséquence. Ici encore, nous devons admettre la nécessité de nous débarrasser des réactions subjectives qui nous enferment dans un auto-dénigrement systématique. L’énumération que nous avons faite des causes qui justifieraient des mobilisations suffit déjà à montrer que les manifestations de rues ne peuvent être la seule forme d’action envisageable. Mais nous devons surtout comprendre les raisons pour lesquelles, les «masses » ne peuvent pas toujours être au rendez-vous.
Quelles sont donc ces raisons?
– Ce sont d’abord les énormes difficultés dans lesquelles se trouve la population : nous pensons aux gens qui, faute de moyen de transport ou tout simplement d’argent, ne peuvent pas se déplacer, aux 15.000 aidants familiaux qui ne peuvent délaisser ceux qu’ils accompagnent, aux milliers de personnes en détresse psychique, etc. etc. Non ! Tous ces gens là ne se moquent pas des problèmes ! Non ! on n’a pas le droit de les dénigrer. -Mais, il a aussi les désillusions et le découragement qui ont gagné beaucoup, parce qu’ils ont le sentiment que les luttes passées n’ont pas eu de résultat ou parce qu’ils n’ont pas confiance en ceux qui appellent à la mobilisation. Doit-on les dénigrer pour autant ? -Enfin, il ne faut pas sous-estimer les effets destructeurs de la propagande des maîtres du système. Toutes les institutions et tous les médias contrôlés par les classes dominantes n’ont eu cesse de cultiver un individualisme forcené au sein du peuple. Désormais, le «citoyen-qui-ne-veut-selaisser-récupérer -par-personne» entend remplacer le militant politique organisé. Plus question de parler de «mouvement Populaire» luttant sur des bases idéologiques claires. Ce sont les foules de «citoyens» rassemblées spontanément qui ont le droit de parler au nom du Peuple, pendant que sont diabolisés les syndicats qui, tout au long de l’histoire, ont constitué un rempart pour les travailleurs. Dans le même temps, les chantres de l’idéologie bourgeoise enseignent aux masses que leurs problèmes ne peuvent être résolues que par des élites. Résultat : le Peuple reste totalement désarmé face aux grands capitalistes, aux puissants syndicats patronaux, à la mainmise de leurs appareils politiques et il confie à des « guides » le soin de défendre ses intérêts. Ce n’est donc pas un hasard si on entend souvent des gens dire que «ce qui manque à notre Peuple pour que les problèmes soient réglés, c’est un leader». Il est vrai que tous les mouvements révolutionnaires ont heureusement eu des leaders pour les galvaniser. Mais, l’histoire nous a suffisamment enseigné que les seuls leaders qui sont indispensables au Peuple, ce sont ceux qu’ils ont promus dans le cadre de mouvements populaires structurés, qui sont chargés de défendre les objectifs et de porter des revendications qui ont été décidés démocratiquement à la base et qui, s’ils sont neutralisés par l’ennemi, peuvent être relayés par de nouveaux combattants. Autrement, les luttes sont vouées à l’échec. Parlant de leaders, il faut rappeler que ce sont des êtres humains comme les autres. Certains peuvent se tromper et faillir, être corrompus et trahir et, quand ils sont incorruptibles, assassinés. Rappelons-nous comment ont été tués Patrice Lumumba, Thomas SANKARA et Maurice BISHOP.
Toutes ces considérations générales abordées, nous pouvons parler maintenant des dispositions à prendre pour que nos luttes débouchent sur des progrès durables, comme cela a été annoncé dans le flyer d’invitation.
Il nous faut en premier lieu prendre pleinement conscience de la situation dans laquelle nous nous trouvons : Comme l’ensemble du monde, aujourd’hui, nous sommes confrontés à cinq fléaux majeurs 1- la menace omniprésente de catastrophes liées au dérèglement climatique 2- l’imminence de crises économiques majeures 3- la marche en cours vers un conflit militaire mondial 4-le renforcement du fascisme dans l’ensemble des pays et la remise en cause systématique du droit international par les puissance impérialistes occidentales et enfin, 5- un dérèglement sociétal et mental généralisé.
A ces facteurs mondiaux viennent s’ajouter les conséquences de la domination coloniale que nous subissons. La France, plongée dans une spirale de déliquescence, a entrepris de renforcer son emprise sur notre pays en intensifiant :
-le génocide par substitution,
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la destruction de l’économie endogène,
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le renforcement de la domination administrative et technologique,
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le quadrillage militaire.
Il est évident qu’aucune revendication corporatiste ou assimilationniste ne saurait sortir notre pays de l’engrenage mortifère qui le tient prisonnier. A ceux qui croient encore qu’ils pourront convaincre la République Française de les considérer comme les citoyens de « l’hexagone » et de leur accorder l’égalité de traitement, à ceux qui rêvent d’intégration réussie et de continuité territoriale, à ceux qui s’imaginent qu’un changement de Préfet modifierait la domination coloniale en quoi que ce soit, à tous ceux-là donc, nous suggérons de revisiter l’histoire de la présence française dans notre pays depuis 1635. A ceux qui nous proposent une évolution «molokoy» qui voudrait qu’on ne se concentre que sur la lutte contre la vie chère, prétendant que cela préparerait les esprits à demander l’autonomie ou l’indépendance, nous répondons que, d’une part, jamais les colonialistes et la caste ne satisferont leurs revendications et que, d’autre part, il n’est pas question de louvoyer car
-les milliers de compatriotes qui souffrent des cancers liés à l’empoisonnement aux pesticides -la majorité des retraités qui survivent avec des pensions de 500 euros, parfois même de 200 euros par mois -ceux qui vivent dans des logements qui risquent d’être détruits à cause de catastrophes environnementales ; -tous les travailleurs, qu’ils soient salariés ou du secteur libéral, nos petits agriculteurs, commerçants et entrepreneurs étranglés par les impôts, -toutes les victimes des prédateurs des grandes surfaces, des banques, des assurances et des agences de téléphonie, -bref l’ensemble de notre Peuple, soumis aux pires souffrance aujourd’hui même, ne saurait se conformer à aucun calendrier opportuniste !
C‘est aujourd’hui que nous devons mener une offensive générale contre le système, exiger le respect de notre droit à l’autodétermination, nous purger de la domination coloniale et nous organiser pour accéder à la souveraineté totale !
Au début de notre intervention, nous avons posé deux questions. C’est en y répondant que nous conclurons notre exposé
1) Qu’est-ce qui explique que la situation soit si catastrophique tant dans notre pays qu’au niveau mondial ? C’est le fait que le système capitaliste, arrivé en bout de parcours, intensifie une politique ultralibérale barbare pour essayer de se maintenir. C’est aussi le fait que les puissances impérialistes occidentales voient leur hégémonie remise en cause par des puissances rivales et qu’elles mènent la politique de la terre brûlée afin de « sauver les meubles »
2) Existe-t-il un moyen d’empêcher cette débâcle et de construire un monde meilleur?
Nous en sommes absolument convaincus -parce que, partout dans le monde, particulièrement en Afrique, la libération des Peuples est en marche. -parce que des initiatives alternatives se développent sur tous les continents, même si la censure des empires médiatiques occidentaux fait que la plupart des gens ne le savent pas,
-Parce que les conditions favorables se réunissent de plus en plus pour que notre pays emprunte la voie de la décolonisation:
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le niveau de conscience du Peuple y a fait un bond spectaculaire
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La France coloniale, empêtrée dans ses difficultés, aura de plus en plus de mal à nous imposer sa domination
Il nous appartient de profiter de cette opportunité pour avancer sur la voie de la libération, ce qui implique notamment -que nous mettions en oeuvre une stratégie globale évaluant scrupuleusement le rapport de force entre notre Peuple et le Pouvoir colonial et permettant que toutes nos luttes ponctuelles ou générales aient pour objectif de contribuer à la décolonisation.
-que nous jetions, dès aujourd’hui, les bases de la reconstruction et d’un développement durable en encourageant toutes les initiatives alternatives existant déjà dans tous les domaines et en favorisant leur convergence. -que nous contribuions à la Cohésion Nationale de notre Peuple, d’une part, en prenant des initiatives à grande échelle pour instaurer un dialogue serein et une saine collaboration sur le terrain entre tous ceux et toutes celles qui veulent sincèrement faire avancer notre lutte pour la souveraineté ; d’autre part, en établissant des ponts plus conséquents avec la fraction émigrée de notre Peuple.
C’est à ce prix là que nous pourrons prétendre au mieux-vivre, au mieux-être et donc à l’émancipation.
Je vous remercie de votre attention.
Téyat Otonom Mawon
Mercredi 4 décembre 2024