Bracelet électronique, dépôt de plainte, hébergement d’urgence… Le Premier ministre a annoncé plusieurs mesures en ouverture du Grenelle contre les violences conjugales, ce mardi 3 septembre. Insuffisant, répondent les associations, qui réclament des décisions plus rapides et un budget clair.
Elles sont une petite trentaine, réunies près du cimetière de Grenelle, dans le XVe arrondissement de Paris, pour la Marche des familles. Les unes, militantes, sont sobrement vêtues de noir. Certaines, proches de femmes victimes de féminicides, arborent un brassard blanc. «Ce qui arrive à nos familles n’est pas une catastrophe naturelle», rappelle Sandrine, dont la soeur Ghylaine a été immolée par son conjoint sous les yeux de leur fille, en 2017. «Ce ne sont pas des faits divers», abonde Hauteclair en évoquant le souvenir de sa collègue Hilal, morte le 20 février dernier à 27 ans, poignardée par son conjoint. La jeune femme porte un tee-shirt blanc et un brassard rouge, signe qu’elle a elle-même été victime de violences conjugales.
La petite troupe est réunie à l’occasion du lancement du Grenelle des violences conjugales, qui débute ce mardi 3 septembre et se terminera le 25 novembre. À Paris comme dans 91 autres villes, l’État réunit associations, professionnels de la justice, forces de l’ordre et experts divers pour formuler des propositions de mesures contre les féminicides. Les familles de victimes, elles, s’organisent aussi de leur côté. «Nous sommes une grande famille qui se soutient parce que l’État ne remplit pas ce rôle», déplore Sandrine. «Il faut actionner tous les leviers en même temps», de la sensibilisaton dès l’école à la création de chambres spécialisées dans les tribunaux, réclame Suzy Rojtman, porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes. Alors, à 13 heures et au son de La Marche funèbre de Chopin, elle a suivi le cortège en direction de Matignon, où le Premier ministre devait formuler de premières annonces.
Nomination de procureurs référents, audits dans les commissariats et gendarmeries, suspension ou aménagement de l’autorité parentale à l’appréciation du juge… «Édouard Philippe a coché des cases thématiques, mais le contenu des chapitres n’est pas complet», ironise Raphaëlle Rémy-Leleu. La porte-parole d’Osez le féminisme ! déplore l’absence de «grosse surprise ou de vrai engagement» dans l’allocution du Premier ministre. «On n’a pas de plan quinquennal, pas de feuille de route très précise et pas de liasse d’amendements au prochain projet de loi de finances qui permettrait de débloquer l’argent public pour s’engager véritablement».
« Il faut des actes, il faut arrêter de nous dire qu’on va faire des audits » Fatima Benomar, porte-parole de Nous Toutes
Les militantes reprochent à Édouard Philippe des effets d’annonce et des consultations inutiles. À l’image des audits dans les commissariats et gendarmeries, qui doivent permettre d’identifier les failles dans la prise en charge des victimes. «Tout ça a déjà été fait, on a quasiment une cartographie des postes de police où elles sont bien prises en charge, assure Fatima Benomar, porte-parole du collectif Nous Toutes. Il faut des actes, il faut commencer la formation des professionnels et arrêter d’encore une fois nous dire qu’on va faire des audits.»
Pas de budget annoncé
Lors de son allocution, Édouard Philippe est aussi revenu sur le «milliard espagnol», devenu un leitmotiv des débats autour des violences conjugales. En 2017, l’Espagne décide ainsi de consacrer un milliard d’euros sur cinq ans à la lutte contre le «terrorisme machiste». En France, les militantes réclament la même somme. «Ce n’est pas la bonne façon de regarder le sujet», balaie Edouard Philippe lors de son discours. «C’est pourtant l’argent qu’il faut pour endiguer un énorme fléau de société, rétorque Fatima Benomar. Sans déblocage de fonds, pas de grande cause nationale possible.» Dans un communiqué, l’association Les Effronté.e.s réclame elle aussi «des moyens financiers pour que la loi déjà existante soit appliquée et applicable».
Deux heures après le début de la Marche des familles, le compte n’y est pas non plus pour Suzy Rojtman. «27 femmes sont mortes depuis l’annonce du Grenelle, souligne la porte-parole du Collectif national pour les droits des femmes. Ces mesures tombent sous le sens, il fallait les prendre avant, ce n’était pas la peine de nous faire attendre». «Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer», soupire Stéphanie Lamy, co-fondatrice d’Abandon de famille – Tolérance zéro. Ce collectif lutte contre les violences économiques, comme la confiscation de la carte bancaire, le harcèlement lié à l’argent ou encore le non-versement de la pension alimentaire après la séparation. La thématique «est le parent pauvre de nos luttes» et la grande absente du discours d’Édouard Philippe. «Le Premier ministre dit que ce n’est pas une question de moyens, mais refuse de mobiliser ceux, pourtant maigres, qui nous permettraient d’organiser une table ronde sur les violences économiques», déplore la militante. Comme elle, nombre de responsables d’associations attendent le gouvernement au tournant, alors que le Grenelle doit encore durer près de trois mois. «S’ils continuent comme ça, il va y avoir beaucoup de colère dans les rues le 25 novembre», prédit Stéphanie Lamy.
Source : LeFigaro.fr