— Par Michèle Bigot —
Texte de A. Adamov, mise en scène et scénographie : Alain Timar
Festival d’Avignon, off 2016, Théâtre des Halles, 6-28/07
Le texte d’Adamov est adapté en coréen, puis traduit en français. Cette curieuse alchimie n’est pas inintéressante : son moindre mérite n’est pas d’actualiser un texte dramatique, qui, sans cela paraîtrait aujourd’hui historiquement daté, d’une facture trop classique pour les oreilles des contemporains habituées à des récits polyphoniques et à des textes pluriels, plus denses et bigarrés. Ici la ligne du récit est monophonique et purement chronologique. Il sent la facture des années cinquante. Ce n’est pas vraiment une pièce à thèse, mais le propos politique y est très explicite et didactique. La mise en scène d’Alain Timar sauve le spectacle à force de scénographie et de chorégraphie. Ce qui manque de couleur, de rythme et de variation dans le texte est largement compensé par la dramaturgie. Le second mérite est d’avoir réactualisé un texte au niveau politique. Certes, le texte lui-même n’est pas dépourvu de portée universelle, racontant les conflits qui opposent, au sein d’un pays indéfinissable, réfugiés et population d’accueil. Mais adapté en coréen, et interprété par des Coréens, il s’enrichit d’une valeur très actuelle. Pourtant, le chômage de masse, la misère sociale, l’hostilité envers les réfugiés ne sont pas l’apanage de ce pays : ils intéressent au contraire la plus large partie de l’humanité !
Dans ce monde sans pitié, les personnages se rencontrent, s’opposent, se déchirent. L’amour, la jalousie, la possessivité et la haine emplissent la partition et fournissent une abondante matière dramaturgique. La scénographie représente admirablement le trouble identitaire qui habite les personnages : en effet, plusieurs acteurs interprètent tour à tour le même personnage. C’est l’habit qui fait le moine. Et ça fonctionne très bien sur le plateau. Cette mutation se charge d’une valeur symbolique forte ; elle suggère que tous peuvent retourner leur veste au gré des circonstances. Inconstant, opportuniste, lâche, l’être humain n’est pas présenté sous un jour très favorable. Mais on ne choisit pas le contexte politique. C’est lui qui vous choisit ! La chorégraphie, en jouant des effets de groupe, met en valeur l’aspect redoutable des effets de masse, la rapidité des mouvements de l’opinion. Outre ses déplacements savamment orchestrés, le chœur est aussi musical et vocal. La présence des percussions en milieu de plateau vaut pour une force transcendante qui organise en sous mains les mouvements de foule. Elle confère son rythme à la chorégraphie ; elle représente la dimension pulsionnelle des états d’esprit et des changements dans l’opinion.
Alain Timar use à cette occasion de toutes les ressources du plasticien, jouant des couleurs sombres, des formes, occupant l’intégralité de l’espace scénique. Une scénographie minimaliste quant au décor de plateau rend à la fois l’idée d’un pays dévasté et confère au drame une dimension universelle. Ce spectacle occupe une place de choix dans la ligne de programmation du Théâtre des Halles, qui met l’accent sur l’humanisme pour cette année 2016. Les derniers développements de l’actualité politique en France suffisent à montrer à quel point c’est bien l’urgence d’aujourd’hui.
Michèle Bigot