— Par Francis Carole —
Le secteur touristique constitue l’un des hochets agités à longueur de propagande par le néo-PPM comme « preuve » que la Martinique avancerait. D’ailleurs, chacun se rappelle encore avec quel mépris l’équipe arrivée en 2010 à la tête de la Région avait traité le bilan de l’action de l’ancienne présidente du Comité Martiniquais du Tourisme, madame Madeleine de Grandmaison.
L’actuel président de région, en page 9 de son programme, promettait alors -à l’instar des « 5000 emplois en deux ans »- de « réussir dans le secteur touristique 9000 emplois en dix ans », d’atteindre « 400 000 à 500 000 touristes de croisière » ou encore de « mettre en place une stratégie de diversification des clientèles ».
Quant au projet de réforme du tourisme de Martinique, baptisé poliment Politique Unique du Tourisme et voté par le néo-PPM en 2011, il affichait la prétention d’attirer « 1 million de touristes par an d’ici 10 ans » et de faire «augmenter la dépense moyenne annuelle des touristes sur l’ensemble des segments. » À grands coups de « pipi-bef » publicitaires, les Martiniquais se voyaient sommés de se muer en « bâtisseurs de paradis ».
Où en est-on donc du paradis promis cinq ans après ?
La « Note expresse de l’IEDOM », de janvier 2015, nous livre des chiffres édifiants qui contribuent à mettre à mal les discours d’autosatisfaction distillés sans retenue depuis les hauteurs de Plateau Roy. Les sourires Benodet ou IMSEPP ne suffisent pas à dissimuler que le tourisme martiniquais, sans boussole indiquant le chemin du paradis promis, continue de languir dans un purgatoire sans fin.
Ainsi, contrairement à ce que certains cherchent à imposer par un insupportable matraquage médiatique, l’analyse des chiffres ne permet pas de noter une augmentation sensible de la fréquentation touristique et un re-décollage de l’activité.
L’IEDOM précise que « depuis le milieu des années 2000, le nombre de touristes est proche de
650 000 ». « La fréquentation touristique, ajoute-t-il, a connu son plus bas niveau en 2009, passant sous le seuil de 600 000. » Cette chute s’explique essentiellement par les événements exceptionnels de février-mars 2009. En 2013, on dénombrait 647 000 touristes et le secteur représentait seulement 4% de la valeur ajoutée totale du pays. Or, la même année, ce sont 47 millions de touristes qui se sont rendus dans la Caraïbe.
Certes, les chiffres de la croisière servent régulièrement de cache misère. Mais, au-delà des apparences trompeuses, le constat de l’IEDOM se veut sans appel : « La croisière a un niveau peu significatif, malgré une amélioration récente ». Les 104 000 croisiéristes de 2013 ne représentent que 16% des visiteurs et n’ont généré qu’un total d’environ 1,2 million d’euros, soit 0,4% de l’ensemble des dépenses des touristes, la dépense moyenne d’un croisiériste s’élevant à 12 euros.
Aucune amélioration notable n’apparaît non plus quant à l’origine des touristes visitant la Martinique.
En 2013, ils sont 80% à venir de l’hexagone, 6% d’Europe, 1,6% du Canada et 0,6% des États-Unis. La « stratégie de diversification des clientèles » est donc restée une simple promesse électorale. Le mirage de la desserte aérienne à partir de l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, annoncé si bruyamment par les trompettes de Plateau Roy en 2011, s’est évaporé en mai 2013. Il n’y eut pas d’avis de décès public.
La fréquentation hôtelière, selon la « Note expresse de l’IEDOM », « n’a pas retrouvé son niveau antérieur » à 2009.
Des 2 000 000 de nuitées en 2006 nous sommes passés à moins de 1 300 000 en 2013. Certes, la concurrence des autres modes d’hébergement explique en partie cette diminution d’un tiers. Mais ce résultat traduit surtout la stagnation du nombre de touristes et la baisse de la durée de séjour dans les hôtels qui se situe désormais à 4,2 jours. L’IEDOM met aussi en évidence « le taux d’occupation des hôtels globalement bas » (59% en 2013), loin des performances de la Caraïbe (67% pour la même période). Le chiffre d’affaires par chambre louée s’inscrit dans une logique identique : 94€ en Martinique contre 140€ chez nos voisins.
Ce constat vaut pour les dépenses des touristes : 590€ en moyenne pour la Martinique en 2013 et 830€ dans la Caraïbe. Au total, en 2013, le tourisme a rapporté 299 millions d’euros à la Martinique. L’IEDOM indique en résumé que « pour sa part, la Martinique connaît des performances inférieures à celles des autres îles de la région, et tout particulièrement de ses voisines, Sainte-Lucie, la Dominique et la Barbade ».
Certes, les professionnels du tourisme, quel que soit le secteur considéré, se battent, souvent avec beaucoup d’abnégation, pour se hisser à la hauteur des enjeux. Mais ils sont confrontés à des pesanteurs structurelles qui ne facilitent pas leurs initiatives.
D’ailleurs, en conclusion de son analyse, la « Note expresse de l’IEDOM » cite le rapport annuel de la Cour Des Comptes publié en février 2014 :
« Selon la Cour des Comptes, au-delà de la crise actuelle, la dynamique touristique mondiale, et particulièrement celle des îles tropicales, renvoie à des raisons structurelles que les actions publiques ne permettent pas de surmonter. La cour insiste sur le fait que l’offre touristique ultramarine reste inadaptée aux attentes de la clientèle internationale, les îles concurrentes bénéficiant de charges structurelles d’exploitation moins élevées, de normes de construction meilleur marché, de parités de change plus favorables… »
Conscients de cet environnement et des enjeux posés, nous écrivions en 2011 :
« Bien entendu, il n’y a de notre part nulle volonté de rejeter le tourisme comme axe de développement, mais nous estimons qu’il doit être conçu comme un axe à l’intérieur d’une vision et d’une dynamique de refondation de notre modèle économique et de notre stratégie de développement ».
De là à en faire la priorité des priorités, c’est prendre le risque d’une dépendance accrue vis-à-vis de l’extérieur, compte tenu des données structurelles rappelées.
La Politique Unique du Tourisme de la majorité régionale ne définit pas une stratégie lisible pour le tourisme martiniquais. Un chapelet d’actions et une communication tous azimuts ne constituent pas une stratégie, avec une doctrine pertinente, des objectifs clairement identifiés, des lignes de forces, une hiérarchisation des actions et des moyens adéquats.
Le Paradis a, on s’en doute, une sainte horreur des faux prophètes.
Francis CAROLE
Conseiller régional de Martinique
Le 9 février 2015