— Par Laëtitia Favro —
La Prix Nobel de littérature 1993 revient, à 84 ans, avec Délivrances qui raconte l’histoire d’une fille rejetée par sa mère à cause de la noirceur de sa peau.
S’ils dépeignent la communauté noire américaine des prémices du XXe siècle à nos jours, les romans de Toni Morrison ne se répètent jamais. Auréolée d’un Pulitzer, du prix Nobel de littérature en 1993 et, plus récemment, de la médaille présidentielle de la Liberté décernée par Barack Obama, la papesse de la littérature afro-américaine traite pour la première fois dans Délivrances de l’Amérique d’aujourd’hui et surprend encore, à 84 ans, par le mordant de sa prose et la vigueur de ses idées.
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Cette peau noire, si sombre qu’elle en paraît bleutée, Lula Ann Bridewell l’a d’abord vécue comme une malédiction, abandonnée à la naissance par son père, rejetée par sa mère, Sweetness, de carnation plus claire. Devenue adulte, celle qui se fait désormais appeler « Bride » est une femme d’affaires courtisée : à la tête d’une entreprise de cosmétiques florissante, elle collectionne les conquêtes, roule en Jaguar et ne s’habille plus que de blanc pour accroître le magnétisme de sa beauté hors du commun. Sa réussite chancelle néanmoins le jour où son amant, Booker, la quitte sans plus d’explications après une dispute et disparaît, ravivant chez la jeune femme un traumatisme d’enfance trop longtemps négligé. Bien décidée à réparer ses erreurs, humiliée par ce nouvel abandon, Bride part en quête de son amant et de son passé, dans une Amérique rurale blanche, pauvre, où l’attendent tour à tour amour et adversité.
Elle laisse place au sous-entendu
Elle laisse place au sous-entendu
« Sa douleur est une croix qu’elle portera toujours. » Le titre original du roman, God Help The Child, aussi bien que sa version française, Délivrances, semblent offrir deux réponses à cette profession de foi de Sweetness devant le petit être qu’elle vient de mettre au monde, en ce qu’ils placent au cœur du rouage narratif le concept de rédemption. Si les rebondissements du récit ne semblent pas échapper à l’action divine, la nécessité pour les personnages de se libérer de leur passé motive leurs actions, leurs interactions, suspendant le lecteur à leur réussite – ou à leur échec – d’un bout à l’autre du roman, que l’on referme malgré tout intranquille.
Au-delà du ségrégationnisme mis en lumière dans l’intégralité de son œuvre, Toni Morrison explore dans ce récit la façon dont les préjugés, le racisme des Blancs envers les Noirs, vont jusqu’à modeler les relations sociales des Noirs entre eux, empoisonnant l’inconscient collectif américain…