“Anti-Charlie de tous les pays, unissez-vous !” Ce titre-manifeste s’étend en double page centrale du dernier numéro [06/05/15] de Charlie Hebdo, qui fait d’une pierre deux coups : répondre aux critiques émises récemment par le démographe Emmanuel Todd à propos de la marche du 11 janvier, et au boycott par une flopée d’écrivains anglo-saxons de la remise du Prix du courage et de la liberté d’expression à Charlie Hebdo par l’association mondiale d’écraivains PEN.
L’actualité du journal satirique étant devenue, depuis le 7 janvier, l’actualité tout court, les journalistes de Charlie Hebdo se livrent à un exercice d’introspection inaccoutumé. Le chapô de cette double-page s’en explique : “ça vous est déjà arrivé de devenir une ‘breaking news’? Parce que, ici, à Charlie, oui”.
La “corrélation sans cause” de Todd
Et d’entrer dans le vif du sujet par un commentaire argumenté, en forme de réquisitoire, du livre d’Emmanuel Todd, Qui est Charlie ? (éd. Seuil). Dans ce livre le démographe identifie les manifestants du 11 janvier comme des “MAZ”, c’est-à-dire des représentants des classes Moyennes, personnes Âgées, catholiques Zombies, animés par un inconscient islamophobe.
“Sous la plume de Todd, ceux-ci militent pour une société inégalitaire, sécuritaire, libérale et, au fond, liberticide. Vous aurez reconnu les valeurs que Charlie défend depuis sa création”, ironise Guillaume Erner, qui signe la chronique. Sur le fond, Todd fait une erreur qui porte le nom de “corrélation sans cause”, estime-t-il. La carte de France des origines des manifestants du 11 janvier “n’a rien à voir avec l’héritage gallo-romain, c’est avant tout celle de la France riche, intégrée et, hélas, blanche. Evidemment, cete situation reflète la fracture sociale de notre pays […]. Mais si ces manifestants révélaient un clivage, ils ne le justifiaient pas, aucun d’entre eux ne cherchait à le défendre”. De nombreux dessins, peu amènes envers le démographe, illustrent ce contre-argument.
“C’est dur d’être condamné par des cons qui ne vous lisent pas”
Comme le livre d’Emmanuel Todd, les écrivains américains qui ont décidé de boycotter la remise du Prix du courage et de la liberté d’expression à Charlie Hebdo ont une représentation du journal contraire à son identité, estime de son côté Philippe Lançon. Le journaliste, gravement blessé lors de la fusillade du 7 janvier, n’a pas pu se rendre à New York pour cette raison. A propos des écrivains opposés à Charlie, il explique :
“Ces écrivains sont naturellement libres de ne pas adhérer à ‘Je suis Charlie’, de se méfier d’un mouvement collectif de bonne conscience et de ne pas venir au PEN Club : Charlie s’est assez fichu des institutions pour ne pas en devenir une à son tour […] Ce n’est donc pas leur abstention qui me choque ; c’est la nature de leurs arguments”.
Ces écrivains estiment en effet que Charlie Hebdo est “raciste”. Conclusion cabuesque de Lançon : “C’est dur d’être condamné par des cons qui ne vous lisent pas”
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