— par Janine Bailly –
Si le festival de Fort-de-France fut, pour cette quarante-quatrième édition, fort pauvre en théâtre, si la promesse n’a guère été tenue d’investir d’autres lieux, tel le Parc Naturel de Tivoli, où l’on avait pu voir l’an passé « Folie », superbe lecture-spectacle offerte par une Ina Boulanger aux prises avec le vent fripon qui soulevait ses feuillets autant que ses jupons et ses rideaux de scène improvisée, il nous fut pourtant donné de connaître cette année de beaux moments de grâce et d’émotion, loisible de vivre des instants privilégiés de partage sous un ciel qui ne fut, hélas ! pas toujours clément. Et s’il arriva que parfois les festivaliers durent déplier leurs parapluies en une symphonie colorée, qu’il fut bon d’écouter, dans la douceur des nuits tropicales, les musiciens sous les frondaisons tutélaires des jardins du Parc Culturel Aimé Césaire, autant que les conférenciers du désormais rituel Cénacle en bord de baie !
Le festival, c’est un peu la vitrine du Sermac, qui présentait, dans les salles du centre Camille Darsières, les travaux réalisés dans les différents ateliers : j’ai été personnellement bluffée par la beauté de certaines poteries, l’esthétique parfaite des calebasses faites lampes, l’originalité des masques et photographies exposés. Certains de ceux que l’on nomme amateurs pourraient certes revendiquer le beau nom d’artistes !
Le festival, c’est—trop peu donc—le théâtre : en prélude aux spectacles officiels, les élèves d’Élie Pennont firent revivre pour nous, sur la petite scène de l’Espace Culturel Camille Darsières, deux femmes au destin singulier, deux femmes en révolte, deux héroïnes audacieuses debout face au monde dans leur orgueilleuse solitude. Et si le spectacle présentait des défauts bien excusables dans le cadre d’un tel atelier, si tous les comédiens n’étaient pas d’égale valeur, l’on vit l’Antigone d’Anouilh, comme la Lumina Sophie dite Surprise, de Suzanne Dracius, s’incarner en deux jeunes filles toutes vibrantes d’émotion, véritablement habitées par leur personnage. Il faut saluer le travail de tous ceux qui s’investissent sans compter afin qu’à la Martinique les arts vivants se perpétuent !
Vinrent ensuite, sur la scène du théâtre Aimé Césaire, « Instantanés d’infini » (voir l’article de Roland Sabra), et « Aimez-moi ! » (voir l’article de José Alpha), qui nous laissèrent sur notre faim malgré la qualité incontestable des artistes concernés.
Le festival, c’est aussi la possibilité pour tous de participer à des manifestations gratuites. Ainsi vit-on les petits écarquiller des yeux émerveillés au passage des fabuleux chevaux de la Déambulation Lumineuse, qui parcourut en ouverture les rues enténébrées de la ville. Ainsi vit-on les grands, bravant les intempéries, se passionner pour des interventions aux antipodes les unes des autres, comme l’on peut en juger par leurs titres : « Laïcité et politique » ou « Marques corporelles chez les adolescents », « Abraham, star des religions monothéistes » ou « Candomblé brésilien, vaudou haïtien », « La Franc-maçonnerie est-elle démocratisée ? » ou « le Dance-Hall né de la Jamaïque », etc. Mêlant aux voix des intervenants et du public martiniquais, toujours prompt à intervenir, celles des invités venus de France, du Brésil ou des îles voisines, le Cénacle nous prouva une fois encore qu’on peut s’ouvrir au monde tout en défendant son identité antillaise, et que ce festival 2015 ne démentirait pas les mots de l’écrivain portugais Miguel Torga : « L’universel, c’est le local moins les murs ».
Janine Bailly, Fort-de-France — Photos de Paul Chéneau
Dimanche 26 juillet 2015
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