Pendant 4 jours, le festival Étonnants Voyageurs s’est posé dans le pays très répressif de Denis Sassou-Nguesso avec près de 90 écrivains venus parler littérature, Afrique et liberté d’expression. Reportage à Brazzaville.
Elle est congolaise, elle est romancière et elle n’était pas prévue au programme. Surtout pas pour l’inauguration du premier festival Etonnants Voyageurs de Brazzaville. Mais ce 14 février, dans un grand auditorium encadré par deux portraits du président Denis Sassou-Nguesso qui font de la réclame «pour une république unie et indivisible», le discours de l’ambassadeur de France venant de succéder à celui d’un représentant de l’Organisation internationale de la Francophonie, on commençait vaguement à s’assoupir quand soudain Gilda Moutsara, 38 ans, grimpe sur scène, attrape le micro sous le nez du ministre de la Culture et réveille tout le monde en plaidant avec véhémence la cause de « 400 familles sinistrées qui dorment dans la cour de la mairie de Makélékélé » depuis les terribles inondations de décembre:
Nous sommes un pays pétrolier, nous avons des richesses.
Pourquoi les Congolais souffrent?
J’interpelle ici les autorités!»
Malaise chez les officiels locaux ; tumulte enthousiaste dans le reste de la salle, bourrée de lycéens en uniformes. Le ministre vient lire quelques mots convenus sur le Congo, «terre de littérature et de meurtrissures», c’est-à-dire de traite négrière. Puis repart furax, convaincu d’avoir été pris au piège d’une «mise en scène» d’Alain Mabanckou.
De son côté le romancier de «Black Bazar», codirecteur de la manifestation et tout récemment auteur du beau «Lumières de Pointe-Noire», assure n’être pour rien dans ce que tous appellent «l’incident». Ca ne l’empêche pas d’être ravi que son entreprise prenne un tour un peu politique, en montrant qu’une parole libre peut et doit être possible au Congo. On le comprend. Question de valeurs et de crédibilité. Car il n’est pas simple d’organiser un si gros événement dans un tel pays: il a beau se décliner dans une dizaine de lieux, de la jolie petite école de peinture de Poto-Poto à l’enceinte accueillante de l’Institut français, l’essentiel des rencontres a lieu pour raisons techniques au Palais des Congrès, riant chef-d’oeuvre d’architecture néo-stalinienne où siège d’ordinaire le Parlement.
Voilà des années que Mabanckou tannait Michel Le Bris, capitaine historique du festival fondé à Saint-Malo en 1990, pour en faire bénéficier ses compatriotes. Etonnants Voyageurs s’exportait à Bamako depuis 2001, mais la formule tournait en rond, et le chaos malien imminent imposait d’aller voir ailleurs. Pourquoi pas en Afrique centrale? L’idée était de faire que Brazzaville soit «la capitale des lettres francophones après avoir été celle de la France libre».
Le doyen des lettres congolaises, le diplomate Henri Lopes a raison de présenter son cadet comme un «enfant prodigue». Grâce aux impressionnantes compétences logistiques de l’équipe de Saint-Malo, Mabanckou est revenu chez lui les mains pleines: avec pas loin de 90 auteurs, cinéastes et musiciens issus de plus de 20 pays, des traducteurs pour les écrivains nigérians et sud-africains, des journalistes par dizaines, une quarantaine de membres de France-Inter pour des émissions en direct…
Il s’agit de causer de «l’Afrique qui vient», thème un peu fourre-tout de cette première édition. Boualem Sansal est là, qui exhorte ses confrères à ne jamais céder devant la censure; le Malien Ousmane Diarra raconte avec désespoir comment «l’islam intolérant» s’est développé dans son pays, les «ajustements structurels préconisés par le FMI et la Banque mondiale» ayant fait «plonger l’école laïque et républicaine»; l’Egyptien Khaled al-Khamissi dit qu’«être dans les rues du Caire aujourd’hui n’est pas un choix, parce que la résistance est un devoir»; et André Brink, d’accord avec ses compatriotes Mark Behr et Niq Mhlongo, lâche que «le règne de Jacob Zuma est une insulte aux aspirations des Noirs et des Blancs d’Afrique du Sud».
Il n’y a pas toujours foule pour les écouter au Palais des Congrès, mais tous reviennent enchantés de leurs rencontres dans les lycées et la fac. Mabanckou a bien fait de citer Cocteau le premier jour: «Un enfant qui ne rêve pas est un monstre.» Avant d’ajouter: «Nous avons voulu déposer quelques germes de rêve.»
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Créé le 28-02-2013 à 09h56 – Mis à jour le 03-03-2013 à 18h54