COMPÉTITION OFFICIELLE – Le charme, la poésie, la violence, le film d’Abderrahmane Sissako, Timbuktu, grand film anti-djihadiste qui se déroule dans le nord du Mali, ouvre la compétition. Attention chef d’œuvre!
Premier film de la compétition, premier choc et une conviction. Timbuktu pourrait bien remporter la palme d’or. Ce serait alors une première pour l’Afrique noire et la Mauritanie. Kidane, sa femme et sa fille habitent encore sous la tente dans le désert et élèvent leurs vaches, loin du danger de la cité mais pas pour longtemps. Car en ville, la population ne vit plus. Elle survit dans un nouveau monde où tout est interdit : la musique, le sport, le chant… les femmes doivent se voiler totalement, mettre des gants, les hommes ne sont pas épargnés… Les Djihadistes venus d’ailleurs sèment la terreur, la charia fait des ravages, lapidations, coups de fouets, condamnations sans raison. Tandis que l’imam tente de ramener du sens dans ce monde devenu totalement absurde et que certains résistent à leur façon, le destin de Kidane est scellé quand il tue Amadou le pêcheur à cause d’une bête égarée dans ses filets.
Un brulot anti-terroriste d’une grande poésie.
Abderrahmane Sissako réussit un film qui nous remplit d’effroi, nous arrache des rires, nous cloue sur notre siège. Terrible par la violence des faits, mais où l’humour et l’ironie ont autant leur place que les larmes et la colère. Sans jamais se montrer didactique, Timbuktu est un brulot anti-terroriste paradoxalement d’une grande poésie.
La mise en scène est remarquable. La beauté du désert tranche avec l’horreur de la situation. Le scénario au cordeau est soutenu par un casting impeccable, souvent de non professionnels. Impossible de détacher son regard une seconde de l’écran. Impossible non plus de ne pas saluer le courage du cinéaste. Un chef d’oeuvre d’une intensité exceptionnelle qui, d’une manière ou d’une autre, sera au Palmarès. La scène où des enfants jouent au football sans ballon, car ceux-ci sont interdits, reste un instant de pure magie qui en dit plus que n’importe quel discours.
Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako avec Ibrahim Ahmad dit Pino, Toulou Kiki, Abel Jafri. 1h37. Nationalité mauritanienne. Présenté jeudi en compétition. Sortie prévue à l’automne.
Abderrahmane Sissako reprend tant bien que mal ses esprits. Il évoque la culture qui s’exprime dans le film à travers une phrase: «Ce que je n’ai pas dit, tu le sais déjà.» «C’est une belle phrase pour dire je t’aime», souligne celui qui fait du cinéma comme il parle le français: «avec un accent». Et de rappeler que «l’accent, c’est l’éducation, c’est la pudeur». Une pudeur qui l’a poussé à «éviter de montrer l’horreur», parce que «c’est facile, et dangereux à la fois». Cette cohérence du bien et du mal séduit les journalistes. Reste à savoir s’il en sera de même pour le jury.
Un extrait du film