Contributeur au « New York Times », l’écrivain américain Thomas Chatterton Williams s’est fait remarquer avec son livre Autoportrait en noir et blanc, désapprendre l’idée de race, paru en 2019. Publié aujourd’hui en français aux éditions Grasset, il défend dans cet essai l’idée du dépassement de la notion de race.
RFI : Dans ce livre, votre réflexion sur cette notion de race se mêle à votre histoire. Vous vivez en France depuis 10 ans. Né d’un père noir, d’une mère blanche, vous grandissez loin des ghettos noirs. Et pourtant vous réussissez à vous convaincre du poids de votre identité noire. Vous n’avez par exemple que des petites amies noires jusqu’à la rencontre avec une, celle qui deviendra la mère de votre enfant, une femme française blanche. Votre livre s’ouvre sur la naissance de cette petite fille, Malow, une enfant à la peau blanche et aux yeux bleus. Et c’est un choc pour vous.
Thomas Chatterton Williams : C’était un choc pour moi. J’ai grandi avec une conception de la race très américaine, une conception binaire : vous êtes blanc ou vous êtes noir, et une seule goutte de sang noir fait de vous un Noir. C’est une tradition et un statut légal hérité de l’esclavage. Jusqu’à mes 19 ans, dans les années 2000, ce n’était même pas possible dans les questionnaires de recensement de cocher plusieurs cases au sujet de notre identité raciale. Vous deviez choisir. Donc je savais que j’étais métis, avec un père noir et une mère blanche, mais cela faisait quand même de moi un Noir et je supposais donc que mes enfants seraient métis certes, mais noirs comme moi.
Vous en venez même à vous demander si cette enfant n’est pas le signe de votre trahison à votre camp.
Je le ressentais un peu comme une trahison, à une sorte de dette historique à laquelle je me sentais relié, et à laquelle je suis encore aujourd’hui relié. Mais je n’avais pas les mots pour sortir de ce mode de pensée avec lequel j’ai grandi lorsque ma fille est née. Le choc de sa naissance m’a vraiment fait prendre conscience pour la première fois de l’imaginaire lié à la race, et cela m’a pris du temps ensuite d’imaginer comment ces catégories pouvaient être remplacées par quelque chose de plus humain.
Ainsi, vous dénoncez l’obsession de cette notion de race, fruit d’une histoire selon vous qui est un fardeau. Vous citez Camus : l’histoire n’est pas tout. Que voulez-vous dire ?
Il y a une très belle phrase de Camus qui dit : « La pauvreté et l’histoire m’ont appris que tout n’était pas bon sous le soleil, mais le soleil m’a appris que l’histoire n’était pas tout. » Je paraphrase, mais je crois que c’est l’idée profonde. Parfois vous êtes tellement enfermé dans les blessures du passé que vous manquez le cadeau qui vous est fait d’être en vie, le présent et les possibilités que vous offre ce présent de vous réinventer, de créer quelque chose de neuf.
Et donc dépasser cette notion de race ?
Je pense que vous ne pouvez pas faire ça vous-même. De toute évidence, c’est une négociation entre vous et la société pour établir votre identité. Mais je crois que nous pouvons décider de désapprendre certaines des notions que nous avons choisies d’établir et d’apprendre. La race n’existe pas sur le plan biologique. Nous avons créé cette notion et beaucoup d’entre nous comprennent, je crois, qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans cette façon d’organiser le monde. Nous pouvons oser imaginer une autre façon de faire.
Selon vous, aux États-Unis, les notions de race et de classe sociale sont trop souvent confondues. Vous racontez une anecdote dans votre livre : vous faisiez campagne pour Barack Obama à Baltimore en 2008, et les Afro-Américains que vous rencontriez ne vous voyaient pas comme noir.
Ce voyage à Baltimore m’a ouvert les yeux. Aux États-Unis, nous n’avons pas une façon très évoluée de parler des classes sociales. Les classes sont la race, et inversement. Les gens ont tendance à croire qu’être Noir, c’est un bloc de souffrance, de pauvreté souvent alors qu’être Blanc, c’est être privilégié. Et la réalité de la vie aux États-Unis en 2021 est bien plus compliquée que ça.
J’ai la chance d’avoir un diplôme universitaire, des parents éduqués, et lors de ce voyage, dans une partie très pauvre de Baltimore, j’ai réalisé que ça ne comptait pas vraiment pour les gens de savoir que j’avais du sang noir. Ils n’avaient pas le sentiment que nous partagions la même expérience. Ils nous ont vus comme des étrangers, issus d’une autre classe sociale, un statut qui ne pouvait pas être transcendé.
Vous ne niez pas ce que vit la communauté noire aux États-Unis. On est en plein procès de Derek Chauvin ce policier blanc impliqué dans la mort de George Floyd. A ce sujet vous écrivez : « Je n’ai aucune raison de craindre que cela arrive à Marlow ». Et c’est pour vous un soulagement.
Ce que je voulais dire c’est qu’il y a sans aucun doute un parti pris basé sur la couleur de peau et davantage de violences à l’encontre des Afro-Américains de la part de la police. Pour coller à la réalité, j’aurais dû dire : « C’est vrai qu’aux États-Unis n’importe qui peut être tué par la police ». Sur environ un millier de personnes tuées chaque année par la police, 250 sont noires, ce qui est deux fois plus proportionnellement à la population blanche.
Alors c’est un peu facile de dire que cela n’arrivera pas à ma fille, mais ça ne lui arrivera pas à cause de sa race. C’est ça que je voulais dire. Ce qui est arrivé à George Floyd n’arriverait pas à la majorité des Afro-Américains et cela n’arriverait sans doute jamais aux Afro-Américains d’une certaine classe sociale. George Floyd n’était pas juste un homme noir tué par la police, il était un Noir pauvre. Il a été confronté à la police parce qu’il n’avait pas
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