Par Selim Lander. Ceux-là aussi furent d’abord dans un bateau ; un naufrage les jeta sur une île ; emprisonnés dans la même cellule avant leur expulsion, ils tuent le temps comme ils peuvent ; ils se souviennent, ils se racontent. Ils sont haïtiens, émigrés économiques en quête d’un monde meilleur, plus accueillant aux pauvres. Echouer comme ils l’ont fait, de manière imprévue, sur cette île, avant d’atteindre la terre promise n’est qu’un échec de plus dans une vie marquée par les ambitions avortées, les occasions perdues, les rêves inaccomplis. Il y a des femmes dans leur vie ; elles sont restées au pays, vives ou mortes. Deux d’entre elles sont vivantes, l’une porte le fruit de ses amours avec l’homme. Elles attendent des nouvelles qui n’arrivent pas – et pour cause ; elles sont encore dans l’espérance, veulent croire au succès de cette nouvelle tentative de l’homme pour les sortir de la misère. Telle est l’histoire racontée par la Jamaïcaine Ava-Gail Gardiner dans La Cage.
Le dispositif scénique (de Florence Plaçais) se résume à une cage cubique dans laquelle les trois prisonniers sont enfermés, plus deux « couis » contenant de l’eau et une balle en chiffon. Les prisonniers sont interprétés par Alain Azerot, Frédéric Kontogom et Modeste Nzapassara (1). Leurs femmes, toutes trois incarnées par la même comédienne, Wida Philippe (Haïti), ont quelques maigres accessoires : un sac pour l’une, qui contient une « grenouillère » pour le bébé à naître et une chemise de l’homme, chemise qui incarnera l’homme lui-même au moment d’esquisser quelques pas de danse (2) ; une bassine, du linge et une corde pour une autre.
Les quatre comédiens défendent vaillamment leur texte. Nous sommes émus, compatissants. En ce sens le spectacle est une réussite puisque l’objectif de l’auteure était à l’évidence de nous faire participer aux malheurs du peuple haïtien. Car, en dépit de deux ou trois tentatives pour détendre l’atmosphère, le texte ne quitte pratiquement jamais le registre de la lamentation, invitant le spectateur à offrir en retour ses bons sentiments. Pourquoi pas ? Mais le théâtre peut-il se limiter à l’exposé d’une situation ? Or c’est bien ce à quoi nous assistons, trois fois de suite. Un premier homme se met à raconter, puis sa femme apparaît à côté de la cage et donne son point de vue ; un second homme prend le relai suivi par sa femme ; et il en sera de même pour le troisième. Il n’y a qu’un minimum d’interaction entre ces trois personnages, pourtant enfermés dans un espace restreint, et elle se résume le plus souvent à des gestes dont on ignore s’ils font partie des didascalies ou s’ils ont été ajoutés par le metteur en scène (Michael Batz).
Le théâtre contemporain ose parfois des pièces sans intrigue ni aucun effet de surprise. Peut-on encore toutefois parler de « théâtre » ? Au spectateur de trancher.
À l’Atrium de Fort-de-France, le 2 mars 2013.
(1) Originaire de République Centrafricaine, ce dernier interprète régulièrement en solo Black Bazar, l’histoire du « sapeur » Fessologue, d’après Alain Mambanckou.
(2) La Cage a été créée en français en Guadeloupe (coproduction de l’Artchipel et d’ETC-Caraïbe). La traduction et l’adaptation sont de Sarah Labrin (Martinique). Le danseur guadeloupéen Max Diakok qui s’est produit récemment à Fort-de-France a signé les morceaux de chorégraphie.