Théâtre : la mairie de Paris au secours du « Lavoir Moderne Parisien »

Frankétienne : « Le théâtre est un espoir de lumières pour les peuples que l’on maintient dans les ténèbres. »
Emmanuel Vilsaint : « Nous n’oublierons jamais que le théâtre est célébration de vie avant toute autre chose. »

Ancien lavoir de la fin du 19ème siècle, Le Lavoir Moderne Parisien est devenu un théâtre en 1986 et reste à ce jour l’unique théâtre du quartier populaire de la Goutte-d’Or, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Depuis sa création, il a été un lieu de culture et de rencontres artistiques pluri-disciplinaires, avec une orientation fortement marquée vers les jeunes auteurs. Ses murs ont accueilli de nombreux talents, tels Joël Pommerat, Valère Novarina, Koffi Kwahulé, Hubert Koundé, Maïmouna Gueye, Mathieu Boogaerts, Abd Al Malik, Youssou N’Dour, Alain Mabanckou, Les têtes raides… 

Le Lavoir Moderne Parisien est un lieu dédié à la création contemporaine, résolument ancré sur son quartier. Son pari est de faire confiance aux jeunes compagnies, de promouvoir et de produire des formes et des écritures nouvelles. C’est un petit théâtre actif, mais qui vit « dans la tourmente depuis années ». Un lieu de spectacle vivant, proche des habitants et attaché au développement culturel de l’endroit. Or, quoi de mieux qu’un théâtre de quartier pour retrouver « les fondamentaux du plaisir et le divertissement noble qui dépasse de loin la culture fade et jetable ? ». Un lieu à taille humaine, et comme le disait  Antoine Vitez, « élitaire pour tous ».  À sauver, donc, de toute urgence !

Le Lavoir moderne racheté par la mairie de Paris : “L’urgence était de sécuriser le théâtre” (Télérama, le 11 08 2020 )

La vocation culturelle du bâtiment de la Goutte-d’Or, décrit par Zola dans “L’Assommoir”, était régulièrement menacée depuis une dizaine d’années. Il obtient donc un nouveau sursis grâce à la nouvelle adjointe à la Culture, Carine Rolland, qui salue le combat mené par la compagnie Graines de Soleil¹.

« C’était un immense hangar, à plafond plat, à poutres apparentes, monté sur des piliers de fonte, fermé par des larges fenêtres claires. Un plein jour blafard passait librement dans la buée chaude suspendue comme un brouillard laiteux ». Ainsi Émile Zola décrivait-il, dans L’Assommoir (1877), le Lavoir moderne parisien planté au cœur de la Goutte-d’Or, rue Léon. Construit en 1850, le bâtiment a déjà eu plusieurs vies et il s’accroche à la plus récente : depuis 1986, il est un théâtre dit « de quartier », fondé par Hervé Breuil et repris en 2014 par la compagnie Graines de Soleil. Un théâtre qui « soutient la jeune création, les nouvelles écritures et les spectacles qui font sens avec la société actuelle », expose son directeur actuel, le comédien et metteur en scène Julien Favart. Un théâtre, enfin, dont la survie se joue au rythme de multiples péripéties depuis une dizaine d’années : coupe des subventions, grève de la faim de son fondateur, pétitions, liquidation judiciaire… Par deux fois, il dut son salut à une ordonnance de 1945 qui prévoit qu’une salle de spectacles ne peut perdre sa vocation qu’avec l’assentiment du ministère de la Culture.

Le bâtiment préempté par la Ville

Depuis des années, Graines de Soleil et le propriétaire des murs (une holding luxembourgeoise) se disputaient, par avocats interposés, autour de la nature du bail qui les liait. En filigrane : la pression immobilière face à laquelle un esquif culturel (70 places) ne pèse pas lourd. « On était considérés comme des squatteurs », dit Julien Favart. « Le bâtiment n’étant pas classé, ils voulaient tout détruire pour réaliser une opération financière ». Paradoxalement, le théâtre a été sauvé par sa mise en vente, pendant le confinement.

Soulevée notamment par des élus EELV, la possibilité de préempter le bâtiment a été validée par Ian Brossat (adjoint au Logement), Christophe Girard (alors adjoint à la Culture) et Éric Lejoindre (maire du 18e). Le mécanisme a été enclenché grâce à la possibilité d’aménager des logements au-dessus du théâtre. Nouée pour 2 millions d’euros, l’opération a été officialisée le 21 juillet dans un communiqué de la Ville, exprimant sa volonté de « sauvegarder ce bâtiment historique et maintenir son ambition culturelle » et de proposer « un projet ambitieux pour ce lieu devenu mythique de par les combats qui y sont rattachés ».

Un projet porté par qui ? Carine Rolland, qui a remplacé Christophe Girard à la Culture fin juillet, connait bien le Lavoir moderne parisien – elle est élue du 18e arrondissement – et ne précipite rien : « Plusieurs scenarii sont possibles et nous verrons plus tard s’il faut lancer un appel à projets. L’urgence était de sécuriser le théâtre. Le travail de l’équipe en place, qui a pris le lieu à bras-le-corps dans des conditions difficiles depuis longtemps, qui l’a rouvert sur le quartier et au-delà, mérite d’être souligné ». De son côté, Julien Favart exprime sa fierté d’avoir sauvé « une belle âme » : « Même si on doit le quitter, le lieu vivra sans nous ». Conscient que la préemption n’est pas un chèque en blanc, il ajoute : « Nous devrons encore nous battre, pour faire nos preuves, parce que nous ne serons pas un théâtre municipal. Nous serons un théâtre privé, dans un bâtiment de la mairie, selon un modèle administratif qui reste à définir ». Alors que son économie repose sur la billetterie, il mise sur des travaux de rénovation qui porteraient la jauge à 120 places. Mais la crise sanitaire menace déjà la rentrée. Souhaitons que Le Lavoir moderne parisien, qui en a vu d’autres, surmontera cette nouvelle épreuve au moment de sa réouverture mi-septembre.

Un fan du Lavoir Moderne : Emmanuel Vilsaint « La magie du théâtre immortalise les sourires, les rêves, les regards, les émotions… Le théâtre est un rêve qui bourgeonne en pleine nuit ! »

Ce théâtre peu ordinaire, les hasards de ma navigation sur la toile m’ont permis de le découvrir, grâce aux publications régulières et riches d’Emmanuel Vilsaint, qui garde à cœur de soutenir ce lieu. C’est ainsi qu’en septembre 2019, il annonçait avec un bel enthousiasme le lancement de la 33ème saison du Lavoir Moderne Parisien : « L’occasion m’a été donnée d’échanger avec des camarades de plume et de scène tout en découvrant une programmation époustouflante. L’une des meilleures dans tout Paris. Que des compagnies généreuses et motivées dans ce théâtre où le mot « vivant » prend tout son sens. Oui ! J’irai voir toutes les pièces ! Allez y découvrir le bonheur d’être au théâtre ! Allez au Lavoir Moderne parisien ! »

Originaire d’Haïti, diplômé du Conservatoire d’Art Dramatique du 7ème arrondissement de Paris, sous la direction de Daniel Berlioux, détenteur d’un Master en Art du Spectacle à l’Université Paris VIII, Emmanuel Vilsaint a plusieurs cordes à son arc : poète, comédien, auteur et metteur en scène, il a joué dans des rôles et des lieux prestigieux, Foukifoura de Frankétienne au Théâtre de l’Épée de bois, Caligula d’Albert Camus au Théâtre Marigny, par exemple. Il a tenu en 2013 le rôle principal dans le long métrage de François Marthouret, Port-au-Prince, Dimanche 4 Janvier, adapté du roman Bicentenaire de l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot.

C’est justement au Lavoir Moderne Parisien qu’Emmanuel Vilsaint a créé, en février 2019, Poète Brasseur, un spectacle qu’il présentait ainsi : 

« Plantant son décor dans la mythologie haïtienne, Poète Brasseur dresse un portrait de l’Homme-poète debout face à son propre destin et face à un destin collectif. Bien loin des stéréotypes injustement attribués, le poète est définitivement un Être-brasseur : il brasse les mots, les images, les actions et nous rapproche d’un chaos bouleversant toute réalité aliénante. Dans ce spectacle interdisciplinaire (poésie-théâtre-danse-chant-musique), la parole est une pensée agissante qui donne à voir sans tabou la complexité du monde moderne… Tandis qu’une Voix-Chanterelle raconte l’histoire d’un peuple meurtri, un poète trafiquant du temps se démultiplie : poète donneur, poète brasseur – la vie ça se brasse ! –, poète libre – liberté recouvrée pour avoir placé sa vie entre les mains d’une mystérieuse Ange-Douceur à qui il faut tout donner… Très vite, dans ce bric à brac poétique, surgit un “ zobop ” : nocturne utopie entre les mondes visibles et invisibles. Puis un appel à la liberté est lancé. Des rêves s’éveillent, s’évadent et perdurent ».

Lors des dernières représentations données en mai 2019, Emmanuel Vilsaint adressera un grand merci à toute l’équipe administrative du Lavoir Moderne Parisien qui lui aura fait confiance, qui l’aura accompagné et soutenu sans faille tout au long de la création de ce spectacle. Gageons que nous le retrouverons à l’affiche de ce lieu magique, un jour que l’on espère prochain… et prenons espoir qu’il vienne aussi présenter ses créations aux Antilles !


 

  1. Implantée dans le quartier de la Goutte-d’Or depuis 1998, la compagnie Graines de Soleil s’est toujours attachée à proposer des actions culturelles locales (ateliers, festivals, stages, résidences) nourries d’échanges avec de nombreux partenaires pour développer ses projets.Toutes ces actions, Graines de Soleil les pense dans une démarche de territoire et dans la recherche d’une quête de sens qu’elle trouve dans une rencontre recherchée avec le public et à travers un projet culturel de proximité. Depuis plusieurs années, l’équipe de Graines de Soleil dont le projet est ancré au sein du Lavoir Moderne Parisien, a toujours comme mission première de sauver cette salle que beaucoup considèrent comme un joyau.