— Par Michel Dural —
L’intitulé du débat a le mérite de soulever des questions, chaque mot y concourant:
-théâtre: quel théâtre? le mot est polysémique, heureusement, on souhaite bien sûr que ce soit du « vrai » théâtre, pas un succédané s’inspirant de Dysneyland ou de la Comtesse de Ségur et de ses niaiseries moralisantes. Mais, ceci dit, y a-t-il nécessité d’un théâtre écrit de manière spécifique pour les enfants? On serait tenté de répondre oui, ne serait-ce que pour trouver un contrepoids au tout-venant télévisuel servi aux gamins qu’on abrutit sans prendre de gants et dont on fait des consommateurs qui ingurgitent en même temps leurs céréales hydrogénées et le flot ruisselant du petit écran. Mais, du coup, que représente le spectacle vivant pour jeunes à côté du géant télévisuel, virtuel mais omniprésent? Ce « David »-là a-t-il la moindre chance devant les « Goliath » du petit écran-plus si petit que ça d’ailleurs- multipliés à l’infini?
Et posons la questions des moyens que nos sociétés- développées ou non- mettent en oeuvre pour préserver l’existence ou développer d’un théâtre vivant accessible au plus grand nombre.
-jeune: de 1 à 14 ans, à peu près? Cela fait plusieurs tranches d’âge. On commence quand? On s’arrête quand? Est-ce un public si spécifique? Comment l’initier, le « former », le fidéliser, le faire évoluer vers un regard de plus en plus personnel et critique?
-public: n’est-ce qu’un « public »? Faut-il le faire venir à nous ou aller vers lui? Dans quels lieux? Y a-t-il un lieu théâtral obligé, incontournable, sacré?
Par ailleurs, ces pièces « spécifiques », qui va les jouer, surtout si les personnages sont aussi des enfants? Comment « former » les jeunes « comédiens », quelles opportunités leur donner de rencontrer leurs pairs et leurs spectateurs?
– entre? Y a-t-il un « milieu » possible entre « didactique » et « poétique »? Ce théâtre s’inscrit-il entre ces deux pôles? J’ai envie de répondre à ma propre question, mais je préfère attendre …
– didactique: deux sens:- originellement: qui a pour but d’enseigner, et, comme tout support culturel, bien sûr que le théâtre « éduque », « instruit », sans qu’il y soit forcément question de »valeurs », plus ou moins discutables, ni de morale. En ce sens-là, évidemment, le théâtre a un rôle formateur et socialisant.
C’est,aussi, un lieu spécifique – je parle alors de l’espace culturel concret, à géométrie variable depuis le milieu du 20ème siècle qui n’a pas seulement construit des théâtres à l’italienne- un espace de rencontre, de rendez-vous avec une oeuvre, avec les autres membres du public, qui ont les mêmes droits mais pas forcément les mêmes attentes ni les mêmes réactions que nous. Rndez-vous, enfin, évidemment avec soi-même.– ensuite, en littérature, cela veut dire « qui instruit de manière plaisante. Donc ‘Le Télémaque »de Fénelon, ou la Comtesse de Ségur mis sur les planches? Je ne suis pas sûr d’avoir envie de m’intéresser à ce type de « littérature » qui ne met pas l’objet littéraire au centre du propos, mais en fait une sorte de prétexte à parler d’autre chose. Or, à mes yeux, et pas seulement aux miens, pour n’importe quel public, l’oeuvre de théâtre est d’abord et avant tout une oeuvre d’art, du moins en a-t-elle- l’intention, l’ambition, le souhait. Mais j’anticipe sur le mot suivant.
– « poétique ». Notons que comme « didactique », on peut y voir un nom ou un adjectif. La « poétique », donc, et nous voici conduits à relire Aristote, et les philosophes grecs, Platon, entre autres, et sa « République », où il ne laissera pas entrer le poète. Trop dangereux le poète! A la porte, le poète!
Gardons tout de même le sens grec premier: le « poète », c’est celui qui crée, sorte de démiurge inspiré, plutôt le saltimbanque sublime de Genet, bien sûr, que n’importe quoi d’autre.
Faut-il mettre de l’ordre dans ce foisonnement de questions? Sans doute, et les hiérarchiser, et privilégier celles sur lesquelles les points de vue apparaîtront les plus divergents. Au théâtre, comme ailleurs, il faut se méfier du consensus, ou du moins ne s’en rapprocher que par la discussions et l’affrontement des différences.
Comme « conclusion » provisoire et ouverte, je pointerai quelques écueils à éviter si nous avons l’ambition de promouvoir un « théâtre jeune-public » qui grandisse les auteurs, les acteurs et les spectateurs- et l’on voit bien que ceci n’a riende « spécifique ». Le mot « grandir » peut sembler paradoxal, mais il ne signifie pas « vieillir », mot horrible: l’éducation n’apprend pas, ou ne devrait pas apprendre à vieillir. L’éducation, ça apprend à vivre, à donner du sens à ce qu’on vit,. Pour reprendre l’un des termes du débat, à mettre de la « poésie » dans sa vie.
Donc, les écueils:– le dogmatisme et la « démocratisation forcée », ça c’est pour Charybde
– de l’autre côté, le ‘libéralisme » et l’élitisme (ça va ensemble), ça , c’est Scylla;
– le moralisme et les stéréotypes (esthétiques et autres) . En face: la provocation et l’ésotérisme, tout aussi dangereux.
Le respect d’un public fragile et donc influençable ne se balance pas. Pédophiles, proxénètes en tout genres gourous et fondamentalistes de tout poil sont priés de rester en dehors d’un espace où soufflera le vent de la liberté, pas les tornades du fanatisme et de l’endoctrinement..
Que souhaiter?
-des auteurs « généralistes », comme le sont les très bons médecins, pas des « spécialistes » formatés pour Dysneyland ou pour un marché « porteur »;
-des comédiens exigeants, engagés. D’ailleurs, sans ces qualités les spectacles ne »marchent » pas. Les « jeunes » sont tout, sauf idiots;
-des metteurs en scène imaginatifs, sans tabous esthétiques, audacieux, faisant confiance à l’intelligence et à la sensibilités des jeunes spectateurs;
-un public respecté, informé et formé, en continu. Pas des spectateurs oisifs toute l’année et dont on se souvient soudain à Noël ou pour les fêtes de fin d’année scolaire.
Le spectacle vivant, pour jeune et pour tout publicest menacé. Or l’artiste doit pouvoir continuer de déranger. Au théâtre d’ouvrir ses portes au plus grand nombre possible de jeunes, de rester ou de devenir le lieu privilégié de l’émerveillement, de l’émotion et de la poésie partagés.
A la menace que représente la mondialisation du consumérisme et de la bêtise qui l’accompagne, et pour qui les jeunes sont des proies faciles, la seule réponse possible est un militantisme culturel éclairé, créatif, vivant en faveur d’un théâtre à cette image. C’est une question de générosité, de travail, et- si possible – de talent.
Michel Dural