— Par Roland Sabra —
1912. La municipalité foyalaise décide d’adjoindre au bâtiment, qui abrite les élus un théâtre. Dix ans auparavant le théâtre de Saint-Pierre disparaissait dans la tragédie de la Pelée. Drôle d’idée direz-vous, n’y avait-il rien de plus urgent? Et bien c’est de cette drôle d’idée dont nous avons hérité sans toujours mesurer la chance que nous avons.
L’architecture du théâtre à l’italienne se construit entre le début du XVI ème et la fin du XVIII eme siècle.
La forme retenue le plus souvent est celle du fer à cheval face à une cage de scène occupant plus d’espace avec un proscénium ( avant-scène ) débordant sur la salle mais de même ouverture que la scène elle-même. De chaque côté du cadre de scène, se superposent des loges compartimentées, plus ou moins richement décorées en fonction du rang social des occupants titulaires.
Ce qui frappe au premier abord c’est la disproportion qui existe entre la cage de scène et la surface du parterre, à l’avantage des comédiens. Les cintres sont très hauts placés pour y monter les décors à l’aide de cordages. Ne dites jamais cordes, cela porte malheur, et vous seriez mis à l’amende. Les gens du théâtre sont superstitieux.
Le théâtre de foyal avait sur trois niveaux, le plus haut situé, appelé le « poulailler » une capacité de 800 places ! L’excellente acoustique, reconnue et célébrée par la communauté artistique, doit beaucoup à sa forme de puits central dans lequel les sons résonnent et reviennent sur scène. C’est une des raisons, mais il en est d’autres qui tiennent au savoir vivre, pour lesquelles il est impératif au théâtre de faire silence pendant la représentation car presque tout ce qui se dit dans la salle parvient aux oreilles des comédiens au risque de les troubler.
Après quelques années de succès le théâtre va péricliter, envahi par les services de la municipalité.
Ce n’est qu’en 1987, il y a tout juste 20 ans que le théâtre va retrouver une seconde jeunesse. Une très importante rénovation est conduite par la municipalité. La jauge de la salle est fixée à 300 places, ce qui permet de mesurer la qualité du confort du spectateur. La décoration intérieure va se parer de bordeaux, de bleu clair et de crème. Si la numérotation des rangées de fauteuils manque de lisibilité le confort qu’ils procurent est sans équivalent en Martinique, rien mais absolument rien à voir avec les fauteuils à dos droit de l’Atrum et de la salle Frantz Fanon.
Ce théâtre est un écrin, mais il ne vaut que parce qu’il contient, à savoir un remarquable travail de programmation réalisé par Michèle Césaire. La sûreté de ses choix artistiques fait l’unanimité et quand il lui arrive de se tromper, nul n’est infaillible, c’est très souvent parce qu’il s’agit de création, c’est-à-dire de spectacles qu’elle n’a pas préalablement vus et pour cause. La calamiteuse Mademoiselle Julie l’illustre assez bien.
La jauge de la salle est idéale pour les spectacles intimistes, qui nécessitent la création d’une relation de proximité, de complicité avec le spectateur. Le Théâtre foyalais à cette particularité de permettre au public non seulement d’assister au spectacle ce qui est la fonction première de cet outil, mais d’être dans le spectacle. Un autre avantage de la jauge est de permettre à des spectacles de s’installer dans la durée. Les créations, qui souvent supposent un effort du public et qui par leur audace exigent un excès d’attention, auraient ainsi la possibilité de se rôder, de s’installer dans la durée. Trop souvent ce qui est montré manque de lien, les artistes n’ayant pas eu le temps de trouver toutes leurs marques. Il est préférable de jouer six ou sept fois Roméo et Juliette dans le théâtre municipal que trois fois à l’ Atrium même si cela heurte la rationalité économique, après tout la culture n’est peut-être pas une marchandise. Une utilisation plus rationnelle de l’ensemble des trois scènes du CMAC et du théâtre foyalais attribuerait le théâtre municipal aux créations et les « grosses machines » au CMAC. Mais les tutelles ne sont pas les mêmes et quand on voit les difficultés que rencontre Manuel Césaire, qui ne manque pas de bonne volonté, pour harmoniser la programmation du CMAC et de l’Atrium on se dit que ce n’est pas pour demain!
Pour que le bonheur soit complet il faudrait que le municipalité de Fort-de-France poursuive le travail de clarification des liens qu’elle entretient avec cet endroit sous-utilisé. D’abord il serait souhaitable que le fonctionnement normal de ce lieu ne soit pas assujetti à la priorité accordée aux manifestations d’honneurs rendus à tel ou tel grand personnage disparu. L’an dernier il a été bien dommage que pour rendre hommage à un grand artiste martiniquais disparu il ait fallu blesser un autre artiste tout aussi grand en le privant de représentation. Ensuite la municipalité pourrait libérer les lieux que ses services occupent encore afin que soient aménagés les deux espaces qui font cruellement défaut à savoir un coin pour prendre un verre, manger un morceau avant et/ou après le spectacle, pour prolonger le plaisir du moment. Il est pitié de constater qu’à Fort-de-France pas un seul espace culturel ne dispose d’un tel endroit. Il est rageant de voir l’espace prévu à cet effet à l’Atrium utilisé comme débarras pour entreposer des chaises. Comment se fait-il que le CMAC ait jusqu’à présent été dans l’incapacité d’accorder une concession bon marché à un traiteur en échange d’un cahier des charges contraignant et comprenant entre autres, l’obligation d’ouverture avant, pendant et après les spectacles?
Manque aussi une librairie consacrée aux arts de la scène. Il est à l’heure actuelle impossible de se procurer le texte des spectacles proposés ni ceux des auteurs joués, que ce soit à l’Atrium où l’espace librairie n’est quasiment jamais ouvert ou au théâtre foyalais où le lieu n’existe pas. Essayez d’acheter la version filmée des « Tambours sur la digue » ou de visionner l’admirable travail de Marcel Bluwal sur Don Juan! Bon courage!
Il reste à espérer que le judicieux travail de rénovation entrepris il y a 20 ans ne reste pas au milieu du gué et que la municipalité de Fort-de-France ira jusqu’au bout de la logique de cohérence qui voudrait voir ce petit bijou de théâtre rendu pleinement à sa vocation. Il y a tant de directeurs de théâtre qui rêvent d’un tel lieu, et tant de spectateurs qui protestent contre l’inconfort de tant de salles dites modernes qu’il y a obligation pour nos élus, ne serait-ce que par amour des arts de la scène, d’aller dans ce sens.
Roland Sabra