Par Selim Lander
Lorsqu’un homme et une femme se découvrent réellement amoureux l’un de l’autre, quand ils éprouvent cette sensation, contraire à toute leur expérience de la vie mais correspondant à un besoin d’autant plus profond, de ne plus faire qu’un avec l’être aimé, c’est aussi fort à leurs yeux, aussi extraordinaire que si la frontière entre les deux Corées était soudain abolie, si les Coréens du Nord et du Sud pouvaient enfin se jeter dans les bras les uns des autres et retrouver l’unité perdue. Joël Pommerat glisse cette comparaison dans le spectacle, expliquant ainsi un titre qui aurait pu sans cela demeurer quelque peu mystérieux : La Réunification des deux Corées. Une pièce récente qui rompt avec les précédentes dans lesquelles il revisitait les contes de notre enfance, une pièce à sketchs, donc propre en tout état de cause à intéresser des comédiens amateurs, a fortiori lorsque la compagnie est nombreuse : chacun peut ainsi avoir « son » personnage et un texte suffisamment court pour qu’il puisse être appris facilement puis travaillé jusqu’à parvenir à un résultat acceptable. L’amateur aime jouer ; il n’est pas pour autant aussi capable et disponible qu’il le faudrait pour porter un « vrai » rôle de théâtre.
La Réunification des deux Corées visite différentes figures de l’amour entre les humains, depuis l’amour dans toute sa fraîcheur naïve et obstinée (la très jeune fille enceinte d’un mauvais garçon) jusqu’à l’amour tarifé, en passant par une gamme de situations souvent extraordinaires : l’amour imaginaire (des enfants inventés par le couple « pour tenir »), l’amour réinventé quotidiennement (avec une malade d’Alzheimer), l’amour qui se trompe de cible (d’une orpheline envers le médecin de son père), l’amour qui se réveille après des années (l’ex-mari surgissant impromptu chez son ex-épouse), l’amour incompris (d’un instituteur pour ses élèves), l’amour contradictoire (la divorçante qui se projette déjà dans le remariage avec le même). Des situations le plus souvent émouvantes même si les personnages ne manquent pas d’humour. Seul sketch franchement comique, celui où la fiancée découvre le jour de ses noces que son futur époux a déjà été amoureux de toutes ses sœurs (et réciproquement).
On attend les comédiens amateurs sur leur interprétation. Même si l’on s’en défend, on guette la maladresse, le blanc, voire la panne. L’accident fait partie du spectacle, comme dans un match de tennis où, lors d’un long échange, on se demande lequel des deux joueurs fera le premier la faute qui lui fera perdre le point. Il faut ici féliciter les comédiens ainsi que ceux qui les ont entraînés, les deux animateurs de la compagnie « L’Autre bord », Guillaume Malasné et Caroline Savard, car ces maladresses et accidents furent remarquablement rares. Certes la diction et le jeu de scène n’étaient pas toujours parfaits (comment pourrait-il en aller autrement ?) mais rarement au point d’être vraiment gênants et quelques comédiens ont impressionné par leur maîtrise.
Fort-de-France, Théâtre municipal, du 26 au 28 mai 2016.