Attention, film désormais en VF ! Madiana
— Par Roland Sabra —
The Homesman est une adaptation cinématographique qui devait être à l’origine réalisée par Paul Newman, qui en avait acquis les droits bien avant que le roman ne sorte en librairie et ne connaisse un succès couronné par deux prix prestigieux, le Western Writers of America’s Spur Award et le Western Heritage Association’s Wrangler Award. Traduit une première fois en français sous le titre « Le Charlot des Damnés » il fait l’objet d’une nouvelle traduction en gardant son nom d’origine (HOMESMAN aux Éditions Gallmeister ). C’est la septième fois qu’un roman de l’écrivain Glendon Swarthout est porté à l’écran.
Nébraska, au milieu du 19ème siècle, trois femmes, épuisées par des conditions d’existence d’une extrême précarité, plongent dans la folie⋅ Elles sont confiées à Mary Bee Cuddy ( Hilary Swank), une pionnière ayant un tempérament de « pot de fer », « autoritaire » afin qu’elle les ramène vers l’Est, en Iowa afin d’être rapatrier dans leurs familles⋅ « Rapatrieur » serait sans doute le néologisme le plus approprié pour traduire « Homesman ».
Elle va être aidée dans ce long voyage de cinq à six semaines par George Briggs ( Tommy Lee Jones) un escroc taiseux, sans foi, ni loi, égocentré jusqu’à l’obscénité qu’elle sauve de la pendaison en échange de son engagement à la suivre dans ce périple on ne peut plus dangereux.
Un western donc dans lequel les héros masculin n’existent pas. Les hommes sont peints comme des êtres falots et bien « phallos ». Pas sûr d’ailleurs qu’il s’agisse d’un western, mais plutôt une évocation des conditions extrêmes d’existence subies par les femmes lors de la conquête de l’Ouest. Si l’empathie de Tommy Lee Jones pour ses personnages est évidente elle est néanmoins marquée d’ambiguïté. Confrontées à la folie leur représentation est sans nuances, leurs comportements sont figés du début à la fin du film encore que Mary Bee Caddy fasse l’objet d’un traitement plus affiné. Obsédée par la peur de la solitude et le vide qu’elle génère autour d’elle, on devine rapidement que la force apparente dont elle fait montre est une demande sans fin d’amour et de soutien qui ne peut que faire fuir des hommes qui par ailleurs ne demandent que ça. L’autre ambiguïté repose sur la thématique principale du film. On pouvait croire qu’il s’agissait de rendre un hommage aux femmes, éternelles oubliées de l’histoire, étasunienne ou pas. Ce qui est fait en partie mais en partie seulement,car on découvre, après bien des circonvolutions que le personnage central du film est en réalité George Briggs ( Tommy Lee Jones), comme en témoigne la disparition dans les eaux noires d’une rivière de l’épitaphe gravée sur une plaque de bois qu’il transportait et qu’il destinait à l’une des femmes du voyage, dont on taira le nom pour ne rien dévoiler du beau retournement de situation imposé par le récit. Ce retournement, tout à fait inattendu, imprévisible, est d’ailleurs le point de bascule du centre de gravité du film.
Cela étant, il y a de très beaux gestes d’une grande intelligence thérapeutique quand Mary Caddy après avoir fait boire dans un gobelet l’une des femmes folles, verse de l’eau dans un dé à coudre et l’approche des lèvres de la poupée de chiffons que celle-ci serre sur sa poitrine et chérit au point d’avoir laisser mourir son propre bébé, pour ne pas avoir à se séparer du jouet d’une enfance qui l’engloutit et l’enferme, plus sûrement qu’une camisole. Geste thérapeutique adéquat et pourtant impensé qui n’aura pas de retour pour l’aidante quand elle aura, plus tard, besoin à son tour, d’être aidée. Esquisse à peine effleurée d’une dialectique entre soignants et soignés que le spectateur est invité à développer dans l’au delà du film.
La photographie, est là encore admirable. Les immenses paysages, sans arbre du Nebraska, envahis par endroits de neiges éparses, font surgir dans des crépuscules blanchis, la noirceur d’humanités, qu’elles soient européennes ou indiennes, peu glorieuses et qui ne sont, à vrai dire que les laissées pour compte des aurores de la Conquête. Aux temps rudes, il faut des femmes et des hommes idoines, pour tenir à distance, ne serait-ce qu’un moment, la faucheuse aux doigts crochus.
Fort-de-France le 23/06/2014
R.S.
« The homesman »
Réalisé par : Tommy Lee Jones
Avec : Tommy Lee Jones , Hilary Swank , David DENCIK …
Durée : 2h2min
Pays de production : Etats-Unis
Année de production : 2014