Le poète et dramaturge Faubert Bolivar vient d’obtenir le Prix Texte en Paroles 2017 du meilleur texte dramatique, pour son texte « Les revenants de l’impossible amour ». Basée en Guadeloupe, l’association Textes en paroles s’est donnée pour objet, depuis 2002, de promouvoir les écritures dramatiques contemporaines issues de, ou inspirées par l’univers de la Caraïbe ou des Amériques. Entretien avec le lauréat.
Le National : Avec quels sentiments avez-vous accueilli la nouvelle du prix ?
Faubert Bolivar : Avec joie, bien sûr. C’est une nouvelle lumière projetée sur mon travail d’auteur et ce sont de merveilleuses opportunités qui s’offrent à ma pièce. Je suis très reconnaissant envers Textes en paroles que je remercie une fois de plus. D’un autre côté, recevoir le Prix textes en paroles du meilleur texte dramatique quand on est président d’une association d’auteurs comme ETC (Écritures théâtrales contemporaines en Caraïbe) c’est accroître sa puissance d’agir dans le sens des combats collectifs auxquels nous sommes engagés au quotidien.
LN : « Les revenants de l’impossible amour ». Vous êtes revenu sur l’amour. Des revenants en plus. Un amour impossible. Que peut-on retenir de ce texte dramatique ?
FB : Il m’arrive de dire que je n’écris que sur l’amour. Je me demande comment un tel sentiment – dont on connaît la puissance, car il ne permet selon moi ni plus ni moins que la prise en compte, l’accueil de l’autre dans son irréductible altérité – a pu être capturé, piégé dans les filets de nos constructions sociales au point de perdre de sa force. Je ne suis pas sûr d’être le seul à réaliser que, bien souvent, « l’amour » nous pousse plus vers le semblable que vers l’inconnu, davantage vers la routine que vers l’extase, bref c’est comme s’il s’agissait du plus court chemin pour aller à soi au lieu d’être la voie qui conduit à l’autre. « Tu ne sais pas que les routes sont tracées pour que les riches ne se perdent pas chez les pauvres, et vice versa ? », dit à un moment Dame Brigitte à Jean-Simon Brutus, j’ai nommé les deux personnages de la pièce. Au fait, cette interrogation sur l’amour est posée dans un espace qui recrée la tradition des Guédés. La pièce se passe dans un cimetière.
LN : Depuis quelque temps, vous vous consacrez beaucoup à l’écriture théâtrale. Tout en gardant le contact serré avec la poésie. Parlez-nous de ce revirement ?
FB : Il n’y a pas de revirement. Si je me présente comme poète et dramaturge, c’est parce que je suis « connu » comme tel pour avoir publié des ouvrages de poésie et de théâtre, mais je pratique d’autres genres, comme la nouvelle et le roman. Je rappelle que j’ai reçu ma première distinction en tant qu’auteur pour une nouvelle. Cependant, pour l’écriture théâtrale, j’ai des opportunités de faire valoir mes écrits de manière démocratique et méritante en les soumettant à l’épreuve des concours et des comités de lecture. Remarquez que mes pièces qui ont été mises en lecture ou publiées l’ont été parce qu’elles ont été ou sélectionnées ou primées.
LN : Vous habitez définitivement la Martinique. C’est une terre soeur qui vous inspire peut-être autant qu’Haïti. Partagez donc cette expérience avec nous ?
FB : Je considère la Martinique comme une terre d’accueil. J’y travaille, j’y élève mes filles, martiniquaises par leur mère, j’y ai noué des amitiés, j’y habite, je ne dirais pas définitivement, mais résolument, car comme nous l’enseigne notre culture, « plas nou se nan simityè l ye ». J’essaye autant que faire se peut d’y apporter ma pierre, de la servir, comme enseignant, ou dans le cadre des Rencontres pour le lendemain dont l’écho est parvenu en Haïti grâce aux réseaux sociaux. Je dois dire que je m’oblige à ne pas trop m’immiscer dans les affaires martiniquaises, étant bien conscient que l’histoire est aussi faite de sensibilité, d’émotion et que je suis pétri d’une autre pâte, si l’on n’en tient pas compte, on peut passer à côté de la plaque ou s’ériger sans le vouloir en donneur de leçons.- Scrupule que je n’ai pas quand il s’agit de parler d’Haïti, pou sa a yo mèt ban m tout non. Dans mon rapport avec ce pays j’applique le principe que vous connaissez bien : « Si ou pa ka di byen, pa di mal ». Cela dit, une obligation n’est pas une contrainte, si ma conscience ou les circonstances me portent à assumer une position publiquement, je le ferai, droit dans mes bottes. Parce que je suis chez moi en Martinique comme en Haïti. Je ne permettrais que nul(le) me dise le contraire. Sur l’inspiration, quand on connaît mes écrits, on sait qu’Haïti y pourvoit abondamment. N’empêche, même si les écrivains martiniquais, comme Confiant, Chamoiseau ou Georges Mauvois parlent très bien de leur pays, j’aimerais un jour écrire sur la Martinique.
Le National : Quels sont vos projets à court terme ?
Faubert Bolivar : Honnêtement, rêve, projet, engagement, activité, ce sont des mots qu’il m’arrive de confondre. L’une de mes devises serait : « Avec le temps, jusqu’à la mort ». Toutefois, je veux bien partager avec les lecteurs et lectrices du National ma volonté d’écrire avant la fin de l’année une pièce sur Dessalines. Je veux faire pour Dessalines ce que Césaire a fait pour Christophe. Ce n’est pas l’expression d’un manque d’humilité, mais celle d’un défi, « m panse Lanperè a merite sa ».
Je vous remercie de m’avoir ouvert les colonnes de votre journal et je saisis l’occasion pour lancer un appel au profit d’une jeune metteuse en scène du Petit Conservatoire, Kettelonne Pamphile, qui souhaite monter ma pièce à Port-au-Prince, mais qui n’a pas de grands moyens, si ce n’est que sa volonté. Les gens ou institutions qui souhaitent l’accompagner dans son projet, pourront prendre l’attache de Daniel Marcelin qui se passe de présentation. Je dois vous faire un aveu, Jacquet : quand je constate comment mes pièces ne sont ni lues ni jouées en Haïti, je me sens comme quelqu’un qui passe son temps à emballer des cadeaux « ki pa janm ka rive jwenn mèt li. Mèsi. Kenbe la ».
Propos recueillis par :
Jean Emmanuel Jacquet
Pour le journal Le National