—Par Michèle Bigot —
TÊTE D’OR
De Paul Claudel,
Mise en scène : Jean-Claude Fall,
Avril 2015, La Tempête, Cartoucherie
Pièce de jeunesse, écrite en 1889, Tête d’or nous revient rajeunie et comme régénérée d’un sang nouveau dans une version africaine mise en scène par Jean-Claude Fall.
Tête d’or, le héros éponyme, est une tête brulée. Ayant tout perdu, femme, parents et toute attache sociale, ce desperado se sent pourtant investi d’un destin hors normes : il sera le « sauveur suprême » d’un pays perdu. En vertu d’une audace indomptable et par la force des armes, il renverse la royauté et toute la légitimité héritée des institutions, retourne la situation politique en sa faveur et finit par exiger les pleins pouvoirs. Figure de despote, prônant les valeurs de l’ordre, de la discipline, de la force virile , de la fierté et de la volonté, il annonce l’homme providentiel du régime fasciste : son culte de la force virile et sa fascination pour la mort ne sont pas non plus sans rapport avec les terroristes d’hier et les djihadistes d’aujourd’hui.
C’est ainsi que Jean-Claude Fall explique trouver un écho de Tête d’or dans les sociétés claniques ou tribales d’aujourd’hui, que ce soit en Afrique ou en Europe de l’est. C’est donc en Afrique qu’il plante son décor : ce nouvel angle de vue renouvelle le propos de la pièce et lui confère une actualité saisissante. L’omniprésence de la guerre, de la mort, des rapports de domination lui paraissent relever des sociétés où prédomine une organisation clanique.
Tragédie du pouvoir, ou roman d’aventure, Tête d’or tient à la fois du drame shakespearien, du roman d’aventure et de l’épopée héroïque. Transposé dans une société africaine, le drame gagne en intensité mais également en force lyrique.
La mise en scène de Jean-Claude Fall s’inspire du Koteba, forme traditionnelle de théâtre bambara, où alternent saynètes satiriques et circulation d’information. La troupe est exclusivement composée de comédiens maliens ou ivoiriens, dont le jeu expressif et puissamment rythmé doit beaucoup à la danse, à la gestuelle de la pantomime et à l’évolution chorale. Les mouvements de groupe sont orchestrés par la flûte peule de Cheik Dialo, qui en tire des accents émouvants et parfois déchirants.
La drame se joue en trois temps et trois lieux différents, les spectateurs se déplaçant au fur et à mesure. Comme dans le théâtre malien l’espace scénique est circulaire, soit qu’il s’organise autour de l’arbre à palabres, soit qu’il dispose les spectateurs en cercle autour du noyau central occupé par l’action. Les lumières bleutées dispensent sur tout cela un halo de mystère et font contraste avec la chaleur du désert de sable. La mise en scène fait alterner dialogues et narration, puisant dans la technique des griots. Toute l’action est soutenue et rythmée par un duo de chanteuses dont la mélopée souligne les moments les plus intenses.
Il fallait une telle interprétation, mêlant archaïsme et novation pour retrouver la force quasi tellurique du verbe claudélien. La langue de Claudel, ainsi déclamée retrouve une verdeur et une puissance d’émotion étonnantes.
Michèle Bigot