—Entretien réalisé par Muriel Steinmetz —
Rencontre avec Boniface Mongo-Mboussa, biographe du poète congolais, grande voix de l’Afrique et ancien compagnon de Lumumba, qui a contribué à la publication du deuxième tome de ses œuvres complètes.
Gallimard sort, dans sa collection « Continents noirs », la trilogie romanesque du Congolais Tchicaya U Tam’si (1931-1988). Boniface Mongo-Mboussa qui, il y a un an, publiait une biographie de ce grand poète de l’Afrique, en a composé la postface. Il répond à nos questions.
Paraît enfin ce second volume des œuvres complètes de Tchicaya U Tam’si auquel vous avez grandement contribué. Vous avez en outre écrit sa biographie, le Viol de la lune. Vie et œuvre d’un maudit (Vents d’ailleurs)…
Boniface Mongo-Mboussa Il s’est éteint en avril 1988. Deux ans après, la revue Europe lui rendait hommage. Il y a eu deux colloques. L’un à Brazzaville (Congo), en avril 1992, et l’autre à Yaoundé (Cameroun), un an après. En 1998, ses anciens collègues de l’Unesco ont publié un bel ouvrage, Tchicaya, notre ami. Il convient d’ajouter la biographie de Joël Planque, Tchicaya U Tam’si, le Rimbaud noir, sans oublier l’essai de Pierre-Henri Kalinarczyk, où il compare sa poésie à celles de René Char et d’Aimé Césaire à travers le thème du pays natal. Ma démarche a consisté à publier simultanément ses œuvres et sa biographie. Il importe enfin de le donner à lire dans son intégralité, plusieurs de ses recueils et de ses romans étant déjà épuisés. C’est pourquoi j’ai publié simultanément, J’étais nu pour le premier baiser de ma mère (sa poésie complète) et le Viol de la lune, mon essai biographique. Je travaille à présent au troisième volume, qui rassemble son dernier roman, Ces fruits si doux de l’arbre à pain, son théâtre, le Zulu, le Destin glorieux du maréchal Nnikon Nniku, prince qu’on sort, son recueil de nouvelles, la Main sèche…
Tchicaya U Tam’si est un grand écrivain congolais, donc africain, d’expression française. Ce paradoxe l’a hanté sa vie durant.
Boniface Mongo-Mboussa La formule incite à s’interroger sur le statut de ces écrivains qui, le plus souvent, essayent d’apprivoiser avec des mots de France, un cœur qui vient du Sénégal, pour reprendre le vers du poète haïtien Léon Laleau. En 1966, le critique sénégalais Mohamadou Kane évoquait ce dilemme dans la revue Présence africaine. Pour lui, l’écrivain africain a deux publics. Celui du cœur avec qui partager l’histoire, pour lequel il écrit mais qui le lit peu. Et celui de la raison, occidental, son principal lecteur et client. D’où le malaise qui s’accentue année après année tant les conditions de production et de circulation des biens culturels et littéraires laissent à désirer. Tchicaya U Tam’si, le Congaulois, souffrait de cette schizophrénie.
Il était grand lecteur de la Bible. N’a-t-il pas fait de Lumumba, qu’il avait bien connu et avec lequel il avait collaboré, une figure christique ?
Boniface Mongo-Mboussa Il lisait la Bible, en effet. Son oncle, une sorte de Luther congolais, avait traduit le Livre en langue vili. Par ailleurs, Tchicaya U Tam’si a travaillé pendant trois mois intenses (d’août à septembre 1960) aux côtés de Patrice Lumumba, en qualité de journaliste. L’expérience l’a profondément marqué, d’autant plus que Lumumba a été assassiné en même temps que deux proches : Mpolo et Okito. C’est le contexte colonial qui l’a conduit à établir un parallèle avec le Christ, vu comme le premier des colonisés. Lumumba prolonge cette tradition des grandes figures messianiques et rebelles congolaises depuis Kimpa Vita, notre Jeanne d’Arc du XVe siècle, en passant par le résistant Simon Kimbangu, dont le martyre a généré une religion syncrétique : le kimbanguisme. Pour Tchicaya U Tam’si, Lumumba était un Christ laïc.
Est-il assez connu en France ? et qu’en est-il dans son propre pays ?
Boniface Mongo-Mboussa Il vivait, publiait, était lu en France. Ses livres étaient moins présents au Congo, qui souffre toujours d’une absence de librairies, de maisons d’édition et de critiques littéraires. Cela dit, à l’échelle du continent, il était le prince des poètes. Nos jeunes poètes le vénèrent.
Peut-on mettre en parallèle sa douleur physique et ses souffrances morales au nom de l’Afrique ?
Boniface Mongo-Mboussa Il est resté longtemps infirme de la jambe gauche. D’où des complexes. Sa sensibilité déjà excessive en a été renforcée, sans oublier sa douloureuse aventure congolaise auprès de Lumumba. Il se devait de témoigner pour le Congo et pour l’Afrique, laquelle, comme le disait Frantz Fanon, « a la forme d’un revolver, dont la gâchette se trouve au Congo »…