— par Roland Sabra —
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Tartuffe n’est peut-être pas le personnage principal de la pièce éponyme de Molière. C’est sans doute Orgon que l’auteur interprétait lui même. On pourrait même présenter Orgon comme un homme amoureux d’ un faux dévot auquel il est prêt à tout sacrifier par entêtement, ou plutôt par amour. On pourrait. Hervé Deluge aurait pu…
Disons le d’emblée il y a des trouvailles de mise en scène, une belle scénographie, de très belles lumières dues, une fois de plus à Dominique Guesdon. On se souviendra du clin d’oeil à la célèbre photo de Marylin Monroe sur une grille de métro avec Elmire, la femme d’Orgon, robe offerte au vent tout comme on aura photographié Madame Pernelle icône agenouillée dans la troisième dimension d’un vitrail collé au sol. Moments de pure beauté plastique. La musique de Alfred Fantome à une petite tonalité « orientalisante » qui in-temporalise ingénieusement la pièce, Le recours à des tricycles pour le déplacement des personnages sur l’immense plateau nu du CMAC est aussi une bonne idée, qui tourne parfois au procédé mais qui pouvait signifier une distance maitrisée avec le texte. Le plateau est vide à l’exception d’une grande cage grillagée sur la partie gauche, à l’intérieur de laquelle les comédiens n’apparaissent qu’à mi-corps. Les entrées et les sorties de scènes se font par des trappes dissimulées sur le sol. La modernité de bon aloi de la scénographie pèche par insuffisance, par manquement notamment en matière de micro vhf. Il y a des scènes notamment celles qui se déroulent sous le plancher de la scène quand les comédiens passent d’une trappe à une autre qui sont totalement inaudibles !
Un autre difficulté non surmontée, mais peut-être insurmontable était de trouver, pas seulement en Martinique mais même dans les Antilles francophones, quatorze comédiens de talents. Déclamer des poèmes n’est pas jouer la comédie, quand bien même un détour aurait-il été fait par le cinéma. La distribution est très inégale, pour ne pas dire plus. On ne donnera pas de nom ! Mais tant d’ânonnements sur la scène renvoient à la nécessité d’une école de théâtre ici en Martinique.
Les idées inventives de mises en scènes ne masquent pas l’absence de lecture de la pièce. Il semble que ce soit là le péché récurrent d’Hervé Deluge, dont on apprécie l’énergie, énergie qui le fait passer d’une mise en scène à une autre avec grande facilité, une grande rapidité, mais qui lui mange le temps de la réflexion, le temps de l’analyse des textes. Quel est le point de vue de la mise en scène ? Voilà une question sans réponse précise, d’où un sentiment de gratuité dans l’inventivité, réelle pourtant, du travail présenté. A quoi bon tout ça ? Et dans quelle intention ?
Enfin on regrettera vivement que le texte de la pièce n’est pas été respecté et que la fin de l’acte V ait été simplement sabré. La version proposée se termine peu après l’arrivée de M. Loyal venu exiger que la donation de Orgon à Tartuffe soit mise en acte et donc que la famille quitte les lieux. Molière fait arriver sur scène Tartuffe accompagné d’un Exempt pour faire arrêter son ancien protecteur. Las, celui-ci révèle que Tartuffe est un criminel, qui se cache sous un faux nom et qu’il va donc être conduit aux galères. Happy end à la Molière qui voit l’amour triompher au détriment des mariages forcés. On ne peut que s’étonner qu’une pièce, qui s’inscrit dans le projet Atrium-école, qui bénéficie de par des fonds publics, d’une quinzaine de programmations, en grande partie réservées aux scolaires ne soit pas plus respectueuse du texte de l’auteur qu’elle est sensée servir. Il faut espérer que les milliers d’élèves martiniquais qui verront la pièce bénéficieront d’une lecture complète en classe qui viendra compléter utilement la vision tronquée qui leur est proposée.
Lire aussi :
http://www.madinin-art.net/theatre/tartuffe_comedie_introuvable.htm
http://www.madinin-art.net/theatre/sabra_tartuffe_deluge.htm
http://www.madinin-art.net/theatre/sabra_deluge_tartuffe_interview.htm
http://www.madinin-art.net/theatre/antourel_tartuffe_deluge.htm
http://www.madinin-art.net/theatre/tartuffe_beau_spectacle.htm