— par Janine Bailly —
Ce 18 octobre, j’ai eu le bonheur de réaliser un de mes rêves, voir et entendre enfin Ta-Nehisi Coates, et ce fut au Grand Carbet du Parc culturel Aimé Césaire. C’est pourquoi j’ai envie de me remettre en mémoire ce modeste compte-rendu de lecture que je fis le jour où je découvris ce grand écrivain américain.
Le Grand Combat
Interpellée par l’article « Je ne suis pas votre nègre », paru sur le site Madinin’Art, il me faut ici parler d’identité noire, puisque dire que le problème de couleur n’existe pas s’avère malheureusement être encore du domaine de l’utopie.
Parler de cela, au travers d’abord de la littérature, le lien se faisant par l’écrivain James Baldwin, figure du film documentaire précité, et figure présente aussi dans Le grand combat, ce deuxième opus traduit en français de l’américain Ta-Nehisi Coates, qui fait suite à Une colère noire/lettre adressée à mon fils. Une colère noire, un essai bouleversant publié par l’écrivain-journaliste après la mort de son ami d’université, Prince Jones, tué par un officier de police qui l’avait pris pour un trafiquant de drogue. De Ta-Nehisi, Toni Morrisson dira que sans aucun doute, il est venu combler « le vide intellectuel après la mort de James Baldwin.». Plus qu’un intellectuel, il est aussi homme en lutte pour la reconnaissance de l’identité afro-américaine, engagé politiquement, et qui a participé aux discussions suscitées par les soulèvements de Baltimore, sa ville natale, au printemps de l’année 2015. Son œuvre s’inscrit donc dans le mouvement #BlackLivesMatter (en français : Les vies des noirs comptent), vaste mobilisation contre les violences policières et les inégalités raciales aux États-Unis, dont il est à craindre que le gouvernement de Donald Trump ne prendra pas grand compte…
Le grand combat, récit autobiographique d’une initiation vécue dans la rue, à l’école comme au sein de la cellule familiale, nous livre une double photographie du pays, en ce sens où Ta-Nehisi narre sa propre enfance puis son adolescence dans le Baltimore des années quatre-vingts, mais aussi le parcours aventureux de son propre père dans les années soixante. Un père ancien adepte des Black Panthers, qui crée une petite imprimerie familiale, retrouve et édite les textes de résistance mis sous le boisseau par les pouvoirs en place, initie à la littérature ses enfants, fils ou filles de compagnes successives, tous unis en une “tribu” originale, mais aimante et soudée. De hautes silhouettes hantent les pages, celles de Marcus Garvey, Malcom X, James Baldwin, celles de tous ces combattants oubliés qui firent reculer l’esclavage et les massacres, tous sacrifiés sur les autels de la suprématie blanche.
Récit d’apprentissage, Le grand combat suit les tribulations de Ta-Nehisi, au parcours souvent chaotique, et qui faillit céder aux sirènes des gangs se partageant, dès les années lycée, les territoires du “ghetto”, dans de violents rapports de force. Qui eût pu se perdre dans les trafics, les armes et la drogue, si ce n’est que son père veillait, prompt à redresser le chemin comme à infliger, à tel de ses rejetons indociles, des corrections parfois bien cruelles ! Portrait sans concession d’une Amérique gangrénée par une ségrégation qui, sans plus dire son nom, sépare encore dans ses écoles les enfants au prétexte de leurs couleurs de peaux ! Épopée intime de celui qui n’est pas devenu le bad boy prévu par la société ou le destin, vie déroulée sur les accents et paroles scandées de la musique hip hop naissante, ode lyrique formidablement porteuse d’espoir !
Fort-de-France, avril 2017 et 18 octobre 2018