— Par Roger de Jaham —
Devant l’afflux massif de réfugiés en Europe, la plupart des pays se sentent étouffés, pris au dépourvu, piégés, sans réponses adéquates, en position instinctive de rejet. La République fédérale d’Allemagne (RFA), au contraire, a été prompte à saisir tout le profit à long terme qu’elle pouvait espérer de cette immigration.
Sans nier la dimension humanitaire de sa vision (Angela MERKEL est issue de l’Allemagne de l’est et donc sensibilisée aux souffrances humaines imposées par la dictature du communisme), la chancelière s’est en effet rapidement aperçue que d’accueillir ces malheureux réfugiés par centaines de milliers constituerait une chance unique pour son pays. Car si rien n’est fait, après avoir culminé à 82,5 millions d’habitants en 2003, la population allemande chutera à 79,8 millions en 2017, puis à 70,8 millions en 2040 (c’est seulement dans 25 ans). La faute à un indice de fécondité particulièrement faible et à une immigration insuffisante pour le compenser. À quoi s’ajoute le vieillissement de la population, puisque de 27% en 2013, les plus de 60 ans représenteront 37% en 2040.
Cette décroissance de la population, couplée au vieillissement démographique, aggravent évidemment le poids des retraites. En outre, selon le président de la BundesBank (la Banque centrale allemande), du fait de la forte croissance de son économie, l’Allemagne a besoin de travailleurs supplémentaires pour pouvoir maintenir son niveau de prospérité : la pénurie de main-d’œuvre qualifiée est ainsi estimée à 1,8 million de personnes à l’horizon 2020. Le président de la BundesBank souligne d’ailleurs que, si l’économie allemande va pour l’instant bien, « ce n’est pas quelque chose qui va de soi et ce n’est pas une raison pour se reposer » sur la situation actuelle. Le gouvernement fédéral a depuis longtemps perçu le danger et, après avoir véritablement saigné des pays comme l’Espagne ou encore la Pologne de leurs salariés diplômés, il a pris des mesures pour attirer les travailleurs hors UE, en permettant une meilleure reconnaissance des diplômes, en allégeant les procédures administratives et en ouvrant désormais un certain nombre de métiers à cette main-d’œuvre.
« Gérer l’afflux de réfugiés va être exigeant pour l’Allemagne. Mais l’immigration recèle aussi des chances. Celles-ci seront d’autant plus grandes que nous réussirons à intégrer dans la société et le marché du travail les personnes venues chez nous pour rester », rajoute encore le président de la BundesBank. D’autant que 800.000 migrants ne représentent, en fait, que 1% de la population actuelle de la RFA.
Pourquoi s’intéresser de cette façon au cas de la République fédérale d’Allemagne ? Mais tout bonnement parce que, chez nous, ici à la Martinique, nous sommes confrontés à la même situation : décroissance rapide de la population, couplée à un vieillissement démographique accéléré. À la différence près que nous ne connaissons pas d’afflux de migrants, puisque le chômage sévit chez nous. Les chiffres sont éloquents : à l’horizon 2040, 40% de la population martiniquaise aura plus de 60 ans et les jeunes de 20 ans ne seront plus que 28%. Par ailleurs, de 397.732 habitants en 2006, la population en 2014 n’est déjà plus que de 381.326 habitants (Insee), soit depuis ces dernières années une perte de 3.500 habitants/an, ce qui équivaut chaque année à la disparition de la population d’une ville comme Basse-Pointe. Ces sombres données laissent présager pour la Martinique un avenir dégradé, une économie à la dérive, un chômage encore aggravé…
Émigration des jeunes, baisse de la fécondité, retour des retraités participent à ce basculement rapide, qui impose une réflexion réaliste et des décisions urgentes. Alors, à l’image de l’Allemagne, qui en définitive fait « un bon coup » avec ses immigrés, syriens pour la plupart, pourquoi ne pas, nous aussi, accueillir des réfugiés syriens ? Invitons des Syriens chez nous ! Si l’on conserve le même ratio que pour la RFA, ce geste humanitaire (quoiqu’un tantinet intéressé) équivaudrait à accueillir environ 4.000 personnes sur notre sol, soit à peu près 800 familles. Beaucoup de celles et ceux qui quittent la Syrie ravagée par la guerre disposent de diplômes et d’un pécule. Leurs aînés, parfois Libanais, qui se sont implantés à la Martinique depuis plus de 80 ans pour certains, ont très largement démontré leurs capacités à s’intégrer socialement et à se prendre en mains économiquement : aujourd’hui, pas une seule commune de l’île qui n’ait son commerçant syrien ; le textile, le prêt-à-porter et la chaussure restent historiquement les secteurs dans lesquels prospèrent nos Syriens créoles. Car, pratique attachante : c’est par l’entremise du créole qu’ils ont tissé des liens étroits avec la population martiniquaise !
Alors oui, engageons une démarche politique volontariste et déterminée, portons-nous candidats à l’arrivée sur notre sol de 4.000 Syriens ; cela va être exigeant pour nous de gérer cet afflux, mais notre avenir en dépend en grande partie. Syriens, nou kontan wè zot !
Roger de JAHAM,
05/10/2015